Le Code civil du Québec accorde au « client », - le donneur d’ouvrage lorsqu’il est question d’un projet de construction ‑, ce que l’on pourrait qualifier de privilège d’exception. Dérogeant au droit commun des contrats, le Code donne au client un droit apparemment incontestable de résilier unilatéralement un contrat d’entreprise sans avoir à invoquer un quelconque défaut de la part de l’entrepreneur1.
Le droit du donneur d'ouvrage
Le donneur d'ouvrage peut donc invoquer ce droit d’exception pour mettre fin de façon unilatérale et sans motif, avant échéance, aux contrats de construction de son entrepreneur général ou de ses entrepreneurs spécialisés.
Cette faculté du donneur d’ouvrage doit être contrastée avec le droit restreint qu’a l’entrepreneur de résilier unilatéralement son contrat avec le client : il ne peut le faire que pour « un motif sérieux » et jamais « à contretemps »2.
Le prix à payer par le donneur d'ouvrage pour ce pouvoir unique dont il dispose, surtout considéré du point de vue des entrepreneurs, peut paraître dérisoire à la lumière des enseignements de nos tribunaux en ce qui a trait à la compensation à laquelle l’entrepreneur a alors droit.
Ainsi, le Code civil énonce deux catégories de compensation pour l’entrepreneur qui se voit privé de la suite du contrat sans que l’on ne puisse lui faire de reproche. Dans un premier temps, sans surprise, le client doit le payer pour les travaux réalisés, les biens fournis et les dépenses encourues jusqu’à la notification de la résiliation. Dans un second temps, il doit également compenser l’entrepreneur pour le préjudice que la résiliation peut lui avoir causé.
En soi, ce qui précède pourrait sembler être une mesure de compensation adéquate pour les entrepreneurs. Malheureusement pour eux, suite à un arrêt de la Cour d’appel rendu en 20033, ils pouvaient se considérer lésés lorsqu’il s’agissait de la compensation du préjudice causé par la résiliation. En effet, dans l’arrêt Pelouses Agrostis, la Cour d’appel avait alors mis fin à un débat en édictant que le préjudice que doit compenser le client exclut la perte du profit anticipé sur le contrat.
De sorte que les donneurs d'ouvrage auraient dès lors pu croire – et les entrepreneurs auraient pu craindre – qu’ils bénéficiaient bel et bien d’un droit incontestable à la résiliation unilatérale, sans avoir à assumer tout ou partie du profit perdu par l’entrepreneur sur la portion des travaux non réalisés.
Mais, s’agit-il bien là d’un droit incontestable ? Ou ne doit-on pas plutôt parler d’un privilège comportant certaines limites ?
Effectivement, comme le droit à la résiliation unilatérale constitue une importante dérogation au principe de l'irrévocabilité des contrats, il ne fait désormais aucun doute qu’il a été balisé par les tribunaux.
Limitation à la résiliation unilatérale
Ainsi, cette faculté de résilier un contrat de service ou d’entreprise sans motif n’est pas absolue. Elle ne peut être exercée de manière à nuire à l’entrepreneur ou d’une manière déraisonnable et incompatible avec les exigences de la bonne foi. Les tribunaux s’attarderont donc à analyser si le donneur d’ouvrage a abusé de ses droits dans sa décision de résilier et dans la mise à exécution de cette décision. Cette analyse se fera sans qu’il ne soit nécessaire de prouver une intention malveillante ou malicieuse, mais plutôt sur la base du critère moins rigoureux de l’exercice raisonnable.
Cette analyse doit nécessairement se faire au cas par cas, en fonction de la preuve soumise. Il faut par conséquent être prudent et ne pas extrapoler indûment les décisions de nos tribunaux à des situations de faits qui, bien que peut-être semblables, ne sont pas identiques. Ni, au contraire, tenter de limiter à des situations trop précises les cas où l’on conclura au caractère abusif de la résiliation unilatérale. L’on peut néanmoins constater une tendance, à travers les décisions de nos tribunaux, à qualifier la résiliation d’abusive lorsque le client invoque de faux motifs ou un motif qui se révèle mal fondé ou encore poursuit un objectif illégitime par son geste.
Ainsi, bien que la résiliation unilatérale par un client en vertu du Code civil ne requiert pas de motif, les juges examineront néanmoins les circonstances de la résiliation, le contexte dans lequel elle prend place et les raisons qui ont amené le client à prendre sa décision, afin d’en jauger le caractère raisonnable et de porter un jugement sur la bonne foi.
Renonciation à la résiliation unilatérale
Il existe par ailleurs des situations où les tribunaux concluront que le client a renoncé contractuellement à son droit de résiliation unilatérale, à tout le moins au droit de ce faire sans préavis. Cette renonciation pourra être tacite, mais elle devra être non équivoque.
Dans certains cas, la conclusion peut s’inférer assez facilement du texte de la clause. Par exemple, lorsque la clause énonce que le client « ne peut pas résilier unilatéralement ce contrat avant échéance, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle de l'entrepreneur ou tel que prévu au 6e alinéa de l'article 3 », auquel cas il y a évidemment renonciation à la résiliation unilatérale4. Au contraire, dans un cas où le contrat comportait une clause de « Termination With Cause » et une autre de « Termination on Grounds other Than for Cause », le juge a conclu que cette dernière visait nécessairement la possibilité de résilier le contrat sans cause, donc unilatéralement5.
Plus souvent cependant, le juge devra rechercher l’intention des parties à travers par exemple la formulation précise de la clause de résiliation contractuelle ou l’interrelation entre les diverses clauses du contrat.
L’arrêt de la Cour d’appel dans Société canadienne des postes c. Morel 6 nous enseigne que le fait de prévoir au contrat des circonstances donnant ouverture à la résiliation n’implique pas, en soi, renonciation au droit à la résiliation unilatérale du Code civil. Ce droit de résiliation contractuel s’ajouterait plutôt à la faculté de résiliation unilatérale sans motif.
Néanmoins, les tribunaux bien souvent n’hésiteront pas à conclure à la renonciation au droit à la résiliation unilatérale du Code civil lorsque les parties ont pris soin d’encadrer le droit de résiliation, par exemple en indiquant un délai à l’intérieur duquel le contrat peut être résilié « sans justification aucune », au-delà duquel délai seuls certains événements précis peuvent entraîner la résiliation7, ou encore en énonçant précisément les diverses situations possibles de résiliation et les conditions dans chaque cas8.
Par contre, dans d’autres cas, ils se montreront plus frileux à conclure à la renonciation. Par exemple, en présence d’une clause prévoyant, d’une part, le droit à la résiliation « sans cause » sur préavis de trois mois et avec pénalité et, d’autre part, le droit à la résiliation sans préavis et sans pénalité au cas de défaut de la partie cocontractante, un juge a conclut que le droit en tout temps à la résiliation unilatérale du Code civil, sans défaut et sans avis, n’avait pas été mis à l'écart par les parties9. En fait, il est allé assez loin, en exigeant une formulation telle que « Ce contrat est non résiliable ». Analyse au cas pas cas, donc.
Retournant maintenant à la question lancée dans le titre du présent texte, il nous faut conclure que la résiliation unilatérale prévue au Code civil, un droit en apparence incontestable, demeure tout de même encadré et se présente plus comme un privilège qui, assujetti à un pouvoir de surveillance des tribunaux, comporte ses limites. Il reviendra cependant à l’entrepreneur de démontrer que le donneur d'ouvrage a soit abusé de son droit, soit renoncé à l’exercer.
Le présent texte est un résumé d’un texte publié par l’auteur dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de la construction, vol. 336, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 83.
1. Art. 2125 C.c.Q.
2. Art. 2126 C.c.Q.
3. Pelouses Agrostis Turf inc. c. Club de golf Balmoral, 2003 CanLII 2728 (QC C.A.) [Pelouses Agrostis].
4. Sita Canada inc. c.9033-5944 Québec inc., 2005 CanLII 47909 (QC C.Q.).
5. Resin Technology Inc. c. GSC Technology Corporation, 2010 QCCS 3156 (CanLII)
6. 2004 CanLII 21187 (QC C.A.).
7. Gendron communication inc. c. Vidéotron ltée, 2005 CanLII 42217 (QC C.S.).
8. Société d'énergie Foster Wheeler ltéec. Ville de Montréal, 2008 QCCS 4670 (CanLII) (appel en délibéré).
9. Hôtel Cadim (Godin) inc. c. Gestion Hôtel Godin inc., 2006 QCCS 2324 (CanLII).
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Christian J. Brossard : cjbrossard@millerthomsonpouliot.com
Tél. : 514 871-5407
Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 30 juin 2011 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !