La jurisprudence des dernières années a imposé des obligations contraignantes pour les donneurs d’ouvrage dans le processus de développement des documents d’appel d’offres et dans l’analyse des soumissions reçues. Ainsi, les principes d’équité et d’égalité entre les soumissionnaires ont été rappelés à maintes reprises par les tribunaux.
Ces principes sont évidemment généraux et doivent dans chaque cas être évalués à la lumière des faits particuliers de chaque appel d’offres. C’est ainsi que la notion d’irrégularité majeure vs irrégularité mineure s’est peu à peu développée afin d’évaluer le niveau de discrétion dont peut faire preuve un donneur d’ouvrage en analysant des soumissions.
Afin de clarifier la situation, il arrive que les donneurs d’ouvrage, particulièrement dans le cas des appels d’offres d’organismes publics ou parapublics, prévoient spécifiquement des clauses de rejet péremptoire, faisant en sorte que certains types de manquement aux documents d’appel d’offres, même s’ils étaient par ailleurs considérés comme mineurs, entraîneront la disqualification automatique d’un entrepreneur.
La Cour d’appel a eu à analyser ce type de clause de rejet à l’automne dernier dans l’affaire Demix Construction c. Québec, mais dans le contexte particulier d’un avis de qualification, plutôt que d’un appel d’offres. L’arrêt rendu par la plus haute cour de la province est fort intéressant quant aux principes qui s’en dégagent.
La particularité de l’avis de qualification
À la fin de 2007 paraît le rapport de la Commission d’enquête sur le viaduc de la Concorde, le fameux rapport Johnson, dont une des recommandations principales est la création, à tout le moins pour les ouvrages d’art, d’un système de préqualification des entrepreneurs en construction. Ce rapport est suivi par l’entrée en vigueur, en 2008, de la Loi sur les contrats des organismes publics et de son Règlement sur les travaux de construction des organismes publics, qui prévoit notamment un chapitre sur les avis de qualification des entrepreneurs.
C’est dans ce contexte que l’entreprise Demix Construction participe à un premier avis de qualification lancé par le ministère des Transports au printemps 2010. Cet avis vise à constituer, pour une période d’une année, une liste d’entrepreneurs préqualifiés pour l’érection d’ouvrages d’art, plus particulièrement de structures et tabliers de ponts.
Or, Demix omet de joindre au dossier une page constituée d’un « Engagement de l’entrepreneur et Déclaration du signataire de la demande de qualification » qui, comme son nom l’indique, comporte une série d’engagements que l’entrepreneur doit attester par sa signature. Demix tente de remédier à son oubli et envoie le document requis après la date limite, ce que le MTQ refuse. Sa soumission est donc disqualifiée d’emblée.
Demix intente immédiatement un recours afin de faire déterminer que le rejet de sa soumission était illégal et visant à faire déclarer celle-ci conforme. Au soutien de ses prétentions, Demix prétend d’une part que l’irrégularité était en l’occurrence mineure et que le ministère aurait donc dû accepter sa correction, et d’autre part que les principes de conformité développés en matière d’appel d’offres ne s’appliquent pas aux avis de qualification. Suite au rejet de son recours par la Cour supérieure, Demix se pourvoit en appel.
La Cour d’appel étudie l’environnement légal des avis de qualification et rappelle que bien que cette procédure ne vise qu’à préqualifier des entrepreneurs, elle constitue néanmoins la première étape d’un processus d’appel d’offres. On ne peut donc évacuer de cette procédure les principes d’intégrité, d’équité et d’égalité autrement applicables, ni se permettre une plus grande discrétion dans l’évaluation des candidatures à ce niveau. Les règles développées par la jurisprudence en matière d’appel d’offres s’appliquent donc aux avis de qualification, avec les adaptations nécessaires.
Au surplus, la Cour rappelle que dans le présent cas, l’omission de l’entrepreneur était visée par une clause de rejet automatique, ou péremptoire, dans les documents du donneur d’ouvrage. Ce type de clause, mentionne la Cour, est valide et conforme à la réglementation autant pour les cas d’appel d’offres que pour les avis de qualification. L’erreur de Demix a donc été considérée comme un vice majeur affectant le fond de sa soumission et invalidant celle-ci.
On retiendra de cette affaire que les critères applicables et la rigueur de l’analyse des soumissions reçues par les donneurs d’ouvrage seront les mêmes dans des cas d’appel d’offres que des cas d’avis de qualification, du moins en ce qui a trait aux secteurs public et parapublic.
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