Un appel d’offres dirigé ? Difficile à prouver.

29 juin 2015
Par Me Anik Pierre-Louis

En matière d’appel d’offres, la bonne foi des soumissionnaires et du maître d’ouvrage se présume. Il revient donc à la personne qui prétend à la mauvaise foi d’un participant de renverser cette présomption à l’aide de preuves qui tendent toutes à conclure que les gestes reprochés constituent de la mauvaise foi.

On peut penser par exemple à une soumission comportant des informations trompeuses ou à un processus d’appel d’offres qui avantage indûment le soumissionnaire qui a finalement obtenu le contrat.

 

Dans un dossier récemment confirmé par la Cour d’appel, Roxboro Excavation inc. (« Roxboro ») avait tenté de démontrer que l’appel d’offres avait été dirigé par la Ville de Longueuil et, prétendant que son compétiteur avait ainsi obtenu le contrat à son détriment, elle réclamait notamment des dommages équivalant à sa perte de profits.1

 

Les faits

En 2004, Roxboro a soumissionné en réponse à un appel d’offres lancé par la Ville de Longueuil pour effectuer des travaux de déneigement et d’épandage d’abrasif durant une période de 5 à 7 ans sur certaines portions de son territoire.

 

Roxboro prétend qu’elle était le plus bas soumissionnaire conforme et qu’elle aurait dû obtenir le contrat n’eût été du fait que la Ville avait dirigé l’appel d’offres pour avantager le soumissionnaire retenu, contournant ainsi des règles d’ordre public et limitant la libre concurrence, et qu’elle avait traité les soumissionnaires de manière inéquitable dans l’analyse des soumissions.

 

Décision

Au terme d’une audience de 9 jours, le juge Michaud en est arrivé à la conclusion que la Ville avait respecté ses obligations d'agir de bonne foi et de traiter tous les soumissionnaires équitablement dans le cadre de son appel d'offres. De plus, ce dernier a conclu que la soumission de Roxboro n’était pas conforme, ce qui l’empêchait de pouvoir réclamer des dommages équivalant à sa prétendue perte de profits, ce qu’a confirmé la Cour d’appel le 13 mai 2015.

 

D'une part, Roxboro prétendait que la Ville avait inclus certaines conditions dans son appel d'offres afin d'avantager un soumissionnaire en particulier qui s'est avéré être le plus bas soumissionnaire conforme.

 

Plus précisément, la Ville exigeait que les soumissionnaires soient propriétaires ou locataires à long terme des équipements requis, ce qui représentait un investissement de plus de 6 millions $ pour un contrat d'environ 4,5 millions. Or, selon Roxboro, son compétiteur avait justement déjà fait ces investissements en raison d'un autre contrat de déneigement qui lui avait été octroyé pour un autre territoire, résultant ainsi en un avantage certain pour ce dernier.

 

De plus, Roxboro soutenait que, lorsque la Ville permettait que les soumissionnaires utilisent des équivalents à certains équipements requis, c'était pour avantager son compétiteur qui ne possédait pas l'équipement listé dans les documents d'appel d'offres et qu'à l'inverse, lorsqu'une marque et un modèle d'équipement précis étaient requis, c'était parce que le compétiteur les possédait déjà.

 

Toutefois, le juge n’a pas retenu les arguments de Roxboro et a conclu que la Ville avait agi de bonne foi et que l'appel d'offres n'était pas dirigé. En effet, le fardeau de preuve qui incombait à Roxboro était élevé car cette dernière se devait de renverser la présomption de bonne foi dont bénéficie la Ville.

 

En appréciant la preuve soumise, le juge souligne que les exigences de la Ville étaient toutes raisonnables et que Roxboro n'avait pas mis en preuve des faits « suffisamment graves, précis et concordants » qui lui permettent de conclure à un appel d'offres dirigé.

 

En effet, dans un contexte de contrat de déneigement, il s'agit « d'un contrat important qui a un impact sur la sécurité des usagers et les activités de la Ville. Un entrepreneur, propriétaire de ses équipements, offre une stabilité financière et une capacité à exécuter le contrat ce qui rassure d'autant la Ville. » Quant aux exigences liées aux équipements, la Ville a réussi à démontrer qu’elles étaient nécessaires et qu’elles n’avaient pas pour but d’écarter toute concurrence.

 

D'autre part, Roxboro soutenait que la Ville n'avait pas traité équitablement tous les soumissionnaires lors de l'analyse des soumissions. Entre autres, Roxboro prétendait qu'elle avait été injustement évaluée par la Ville pour les critères dits subjectifs et que sa soumission avait été évaluée en comparaison avec celle de son compétiteur plutôt que d'avoir été évaluée individuellement.

 

Or, rappelle le juge, « un tribunal ne doit pas intervenir dans l'exercice légitime de la discrétion d'une ville dans l'analyse des soumissions et doit s'abstenir de substituer son évaluation à celle des membres du comité d'évaluation ». Seuls des décisions prises de mauvaise foi, de manière discriminatoire ou en contravention avec la loi peuvent être renversées par la Cour.

 

En d'autres termes, le juge a conclu que Roxboro n'a pas réussi à démontrer que « la Ville a utilisé des critères autres que ceux prévus aux documents d'appel d'offres ou encore qu'elle les a appliqués différemment d'un soumissionnaire à l'autre ».

 

Conclusion

En somme, pour réussir à démontrer qu'un appel d'offres a été dirigé, le soumissionnaire frustré doit renverser la présomption de bonne foi dont bénéficie le donneur d’ouvrage et prouver que les exigences des documents d'appel d'offres avaient comme but d'avantager l’un des soumissionnaires au détriment des autres.

 

De plus, les tribunaux ne peuvent intervenir que si le processus d’évaluation des soumissions est conduit de manière illégale, sans quoi un juge ne peut substituer son opinion à celle du comité de sélection. Enfin, n’oublions pas que pour obtenir des dommages équivalant à sa perte de profits, il faut également que le soumissionnaire frustré démontre la conformité de sa soumission2 et que son prix était le plus bas proposé.

 

1. Roxboro Excavation inc. c. Longueuil (Ville de), 2013 QCCS 5231, confirmé en appel par Roxboro Excavation inc. c. Longueuil (Ville de), 2015 QCCA 871

2. Nous avons traité de la conformité des soumissions dans notre chronique du 15 mai 2015 intitulée « Irrégularité mineure ou non-conformité majeure ? ».


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 12 juin 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !