Pendant que la commission Charbonneau poursuit ses travaux et que de nombreux scandales éclaboussent plusieurs institutions publiques, de même que le milieu de la construction, leurs acteurs, réunis en colloque le 14 mai dernier à l'invitation du Conseil du patronat du Québec, étaient unanimes : il existe au Québec une crise de confiance en matière de gestion des contrats publics.
Tant les organismes publics que les fournisseurs sont donc confrontés à un défi double : adopter des mesures pour assainir le système d'octroi des contrats publics et convaincre les citoyens de l'intégrité du processus.
Des actions de redressement
« Depuis 2009, le contexte a beaucoup évolué. L'industrie a été mise à mal et ça n'a pas été des moments très faciles. Le gouvernement a fait plusieurs réponses : il a commencé par la loi concernant la lutte contre la corruption, il a mis en place l'Unité permanente anticorruption (UPAC). Également, il a mis en place le Registre des entreprises non admissibles (RENA) », relate Julie Blackburn, secrétaire associée aux marchés publics, Secrétariat du Conseil du trésor.
Devant une augmentation de la pression populaire, le gouvernement du Québec a de plus adopté, en décembre 2012, la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics (Loi no 1), par laquelle l'Autorité des marchés financiers (AMF), en collaboration avec l'UPAC, est maintenant responsable de délivrer les autorisations de contracter avec l'État.
Une consultation vers l'amélioration
Le Conseil du trésor n'a cependant pas encore complété son processus pour assurer l'intégrité dans l'octroi des contrats publics. Aussi, une consultation auprès de 47 organisations représentant les sociétés d'État, les organismes publics, les technologies de l'information et la construction a donné lieu à plus de 400 propositions.
Le premier constat qui en ressort est la déficience de l'expertise. « Les besoins ne sont pas bien définis au sein des organismes publics. Quand ils vont en appel d'offres, ils ne savent pas toujours exactement ce qu'ils veulent, explique Julie Blackburn. On regarde la possibilité de faire des centres d'expertise pour aider les donneurs d'ouvrage qui sont moins nantis. » Une nouvelle offre de services en matière d'accompagnement et un mécanisme formel de plaintes sont aussi envisagés.
« Également, on doit optimiser les règles contractuelles, reconsidérer les règles relatives à l'évaluation de la qualité », avance-t-elle. L'évaluation des fournisseurs et la considération de leur rendement passé pourrait aussi permettre d'améliorer la probité de l'exécution des contrats.
L'harmonisation des règles et des pratiques, par l'application des clauses contractuelles de façon rigoureuse et systématique par les organismes publics, aiderait aussi à assurer la diligence des contractants face au processus réglementaire.
Déjà des mesures concrètes ont été adoptées pour continuer l'amélioration de la Loi no 1. Le seuil au-delà duquel certains contrats publics y sont soumis a notamment été abaissé à 10 millions $ en décembre dernier. Celui-ci devrait d'ailleurs être abaissé de nouveau par le Conseil du trésor dans les prochains mois : « On est en discussion avec le ministre pour connaître la prochaine étape. Éventuellement, nous allons le descendre. »
À l'industrie de jouer
Devant une perception publique résolument négative de ses acteurs, l'industrie de la construction fait face au grand défi de changer son image. « Il faut rétablir la confiance du public envers l'industrie de la construction, implore Pierre Hamel, directeur des affaires juridiques et gouvernementales à l'Association de la construction du Québec (ACQ). Le respect de l'intégrité est maintenant le plus important quand on fait affaire dans les marchés publics. »
Pour y arriver, l'ACQ propose un processus d’adhésion à un programme de reconnaissance de l'intégrité et d’accréditation, par un organisme externe, des entreprises volontaires. « Il n'y a pas de solutions magiques, il y a des solutions qui passent par le milieu », avance Pierre Hamel.
Luc Martin, vice-président exécutif à la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec, propose lui aussi un mécanisme permettant aux intervenants de l'industrie de participer à la solution. « Si vous participez au marché public à quelque titre que ce soit et que vous apercevez un problème dans le devis, vous pourriez adresser votre doléance à une instance administrative ou un organisme mis en place uniquement pour ça. Immédiatement, il y aurait quelqu'un qui en prend acte et qui peut prendre une décision, dans les 10 jours. »
Un processus à long terme
« La réputation est maintenant un actif. Elle est très intangible, jusqu'à ce qu'on la perde », selon Isabelle Perras, vice-présidente et directrice générale chez l'agence de relations publiques Citoyen Optimum.
Alors que les autorités publiques et les différents acteurs la construction s'activent pour panser les plaies laissées par les scandales et réassurer le public sur la probité de leurs activités, ceux-ci devront selon elle s'armer de patience : « Pour regagner leur réputation, les entreprises qui ont déjà fait des gestes ne doivent pas tenir pour acquis que ces gestes sont compris et retenus. Ça va prendre du temps, il faut les répéter, aller sur plusieurs tribunes, en parler, sortir des cercles traditionnels du milieu des affaires. »
L'industrie de la construction, tout comme les donneurs d'ordres, devra donc continuer ses efforts pour assainir ses pratiques, tout en laissant le temps guérir ses blessures.
Cet article est paru dans l’édition du jeudi 22 mai 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !