L’approche Complete Streets, ou Rues conviviales, offre en toute saison un accès pratique, équitable et sécuritaire aux usagers. Regard sur un concept d’aménagement qui fait son chemin au Québec.
L’approche Complete Streets, ou Rues conviviales, offre en toute saison un accès pratique, équitable et sécuritaire aux usagers. Regard sur un concept d’aménagement qui fait son chemin au Québec.
À l’heure de la mobilité durable, les enjeux liés au transport urbain alimentent de plus en plus la réflexion des décideurs publics. Comment, en effet, assurer le juste partage de la chaussée entre tous ses usagers, tout en encourageant les modes de déplacements actifs et alternatifs? Si la question est complexe, la réponse est simple : en aménageant des rues qui favorisent le vivre-ensemble et où la voie publique se redéfinit en accordant une place plus grande aux piétons, aux cyclistes et aux usagers du transport collectif.
Bien qu’originale, cette façon de concevoir le réseau de transport urbain ne date pas d’hier. Elle est apparue au cours des années 1990 chez nos voisins du Sud, où on la désigne par Complete Streets. Traduite par « Rues conviviales » de ce côté-ci de la frontière, elle vise le développement de collectivités viables à travers une infrastructure de transport durable. De grandes villes comme Boston, Chicago, New York et San Francisco l’ont d’ailleurs adoptée et disposent aujourd’hui de guides de conception.
Ici, c’est The Centre for Active Transportation (TCAT) de Toronto qui en assume, depuis 2009, le leadership et la promotion auprès des municipalités canadiennes. À cet effet, le TCAT a mis en ligne en 2012 Complete Streets for Canada, un portail qui documente l’approche et fournit des outils aux municipalités désireuses de l’implanter sur leur territoire. D’un côté de la frontière comme de l’autre, le but reste le même : rompre avec l’approche traditionnelle qui accorde la priorité à la circulation motorisée.
Une définition large
Mais comment définit-on une rue conviviale? Pour le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM), un organisme proposant à l’échelle du Québec des pratiques et des cadres d’action pour des villes en santé, c’est avant tout une rue à l’échelle humaine qui favorise l’équité sociale et entre les usagers, tout en faisant la promotion des transports alternatifs. Sa conception doit aussi inclure les riverains – résidents et commerçants –, pas seulement les urbanistes et les professionnels de l’aménagement.
« À Montréal, la rue Sherbrooke en est le contre-exemple parfait, illustre Mikaël St-Pierre, chargé de projet au CEUM. La rue est ouverte à tous les usagers, mais on s’entend qu’elle n’offre pas la même qualité d’aménagement aux cyclistes qu’aux camionneurs. Par contre, dans Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, la rue Saint-Jean-Baptiste s’en rapproche davantage. L’emprise réservée aux véhicules a été réduite, une piste cyclable a été aménagée et les trottoirs ont été élargis. »
Bien que Montréal regorge d’exemples, on pense entre autres aux rues Bellechasse et Notre-Dame Ouest, ils ne découlent pas d’une volonté affirmée de la part de la ville-centre. En d’autres mots, aucune réglementation n’impose l’aménagement de rues conviviales à Montréal. La démarche est toutefois encadrée par le Guide d’aménagementdurable des rues de Montréal (PDF), qui répertorie les bonnes pratiques et propose des règles d’harmonisation à l’échelle de la ville.
Un geste à la fois
Cependant, cette démarche n’est toujours pas enchâssée dans la réglementation de la Ville, signale Peter Murphy. Mais elle devrait bientôt être incluse dans la prochaine révision du Guide de conception géométrique des rues de laVille de Québec (PDF) qui, lui, a force de loi en matière d’aménagement routier urbain. « Dans chaque projet, on s’efforce d’intégrer un petit changement, mentionne-t-il. Des fois, il suffit d’élargir un trottoir. Le niveau d’intervention va aussi varier en fonction des secteurs. »
En effet, on ne pensera pas la convivialité de la même manière en ville et en banlieue. C’est pourquoi, avec la collaboration de chercheurs de l’Université Laval, Peter Murphy et son équipe ont mis au point un outil d’analyse multicritère qui s’applique autant à la construction de nouvelles rues qu’à la hiérarchisation des interventions sur le réseau de transport existant. « L’outil nous permet de comparer une rue hypothétique avec une rue existante en fonction de onze indicateurs », explique-t-il.
Les résultats de l’analyse constituent le point de départ des aménagements à préconiser. « Il s’agit d’un processus très rationnel, ce qui évite les décisions arbitraires, commente Peter Murphy. La base de données ne nous dit pas quoi faire. Dans un premier temps, elle nous permet de hiérarchiser les interventions. Et, dans un deuxième temps, elle permet de préciser le niveau d’intervention à l’aide de critères supplémentaires. C’est un autre niveau de décision. »
L’exemple de Québec
Il en va autrement à Québec, où l’approche de Rues conviviales a été officiellement adoptée en 2017. La Vieille Capitale veut ainsi promouvoir la santé publique en plaçant le citoyen au coeur de l’aménagement. Déjà huit projets sont en cours, dont ceux de l’avenue Maguire et de la route del’Église. « Le but, ce n’est pas de faire la guerre aux autos, mais de favoriser des déplacements sécuritaires pour encourager le transport alternatif, résume Peter Murphy, conseiller en design urbain à la Ville de Québec.
« En gros, il s’agit de mieux rééquilibrer les usages, précise-t-il. Au lieu d’avantager les déplacements motorisés, on met en place des aménagements pour que les piétons et les cyclistes soient en sécurité en toute saison. Avant, on partait du milieu de la chaussée et s’il restait de la place pour les trottoirs, tant mieux. Aujourd’hui, on part de l’emprise et on avance vers le milieu. On ne réduit pas nécessairement le nombre de voies, mais leur largeur. »
La démarche de Québec n’a rien d’un copier-coller des pratiques en vogue aux États-Unis. Elle est d’ailleurs parfaitement adaptée à la nordicité québécoise. Les rues conviviales de Québec sont en effet hivernales, c’est-à-dire qu’elles offrent des parcours piétons sans obstacles qui facilitent le déneigement. Elles sont aussi actives, en misant sur la marchabilité, l’échelle humaine et l’intermodalité. Enfin, elles sont vertes, car elles priorisent les ilots de fraicheur et augmentent la canopée.
L’outil d’analyse multicritère mis au point par la Ville de Québec a mérité, en 2017, la reconnaissance de la National Complete Streets Coalition, établie à Washington. La Vieille Capitale était alors la seule ville d’Amérique du Nord à recourir à une telle méthode pour évaluer le potentiel de convivialité de ses rues.
L’outil inclut des indicateurs sociaux, techniques et environnementaux susceptibles d’influer sur la qualité de l’espace urbain. Jumelé à un travail multidisciplinaire, il permet de penser autrement le réaménagement du réseau de transport urbain tout en optimisant les investissements, en intégrant les besoins des citoyens et en développant des modèles de rues transposables à d’autres secteurs de la ville.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2019. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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