Entretien avec Mélanie Robitaille, vice-présidente et directrice générale de Rachel Julien, une entreprise qui fait de la revitalisation de l’environnement bâti de l’est de l’île de Montréal son credo.
Depuis trente ans, Rachel Julien façonne le paysage immobilier montréalais avec des projets qui célèbrent la vitalité et la mixité de la métropole. Avec une nouvelle génération de Robitaille à sa tête, l’entreprise compte bien poursuivre à laisser son empreinte axée sur la collaboration, l’ouverture et le développement durable.
C’est à peine sortie du métro que l’on joint Mélanie Robitaille par téléphone, dans son bureau. Difficile de faire plus montréalais ! L’attachement à la vie métropolitaine est palpable chez cette passionnée de l’immobilier qui, après des études en actuariat, a repris les rênes de l’entreprise de son oncle.
« Pour l’histoire, je gardais les enfants de mon oncle quand j’étais ado. Et je trouvais que c’était vraiment formidable ce que Denis faisait. À l’époque, il faisait beaucoup de conversions d’immeubles, donc il achetait des églises, des écoles qui étaient vouées à un destin plutôt incertain et il leur redonnait une vie tout en préservant leur caractère architectural. Donc c’est tout ça qui m’a vraiment intéressée », se remémore celle qui a ensuite dévié en actuariat pour mieux revenir plus tard faire sa place en gravissant les échelons de l’entreprise. Au fil des échanges, on découvre une entrepreneure de cœur qui allie rigueur et collaboration pour mener à bien des projets qui améliorent les quartiers dans lesquels ils s’implantent.
Pouvez-vous nous raconter brièvement votre parcours académique, votre cheminement professionnel et ce qui vous a amenée chez Rachel Julien ?
Dans le fond, je suis native de Montréal. J’ai toujours été passion- née par Montréal et l’immobilier. Très jeune, j’ai compris que la meilleure façon d’atteindre rapidement l’indépendance financière était par l’accès à la propriété. Comme je viens d’une famille de la classe moyenne, il a fallu que je me débrouille pour devenir propriétaire. J’ai donc utilisé tous les programmes disponibles pour être en mesure de constituer ma mise de fonds afin d’ache- ter mon premier condo dans Hochelaga-Maisonneuve. Et tout ça, ça m’a allumée.
Après mes études en actuariat, j’ai travaillé un peu comme actuaire, puis, il y a 15 ans, je me suis jointe à l’entreprise familiale fondée par mon oncle, où j’ai gravi les échelons année après année. C’est là que je me suis rendu compte que ce que j’aime de l’immobilier, c’est son côté tangible. On imagine quelque chose, et quelques années plus tard, ce quelque chose existe et est venu changer le quartier dans lequel il s’inscrit.
À quel moment vos prédécesseurs avaient-ils commencé à préparer la relève ?
En fait, la relève est toujours en cours. Je consulte encore mon oncle sur une base régulière pour des décisions d’affaires, et c’est absolument inestimable de pouvoir reposer sur l’énorme bagage d’expérience qu’il possède en matière de prise de risques, lui qui a commencé dans les années 80. Moi, ce que j’ai connu comme période tumultueuse, c’est un peu 2008, mais encore là, j’étais dans les débuts, donc je dirais que c’est surtout ce qui s’est passé en lien avec la covid puis la période inflationniste qui a suivi. Mais lui, il a vécu la période d’augmentation des coûts de financement : il a vu construire des immeubles, puis être obligé de donner deux mois, trois mois de loyer pour remplir des logements, ce que l’on n’envisage pas aujourd’hui.
Donc si je situe un peu les choses, environ cinq ans après mon arrivée dans l’entreprise, je suis devenue associée. À l’époque, je faisais partie de la relève, mais je n’étais pas encore identifiée comme LA relève. De fil en aiguille, Denis et moi on a continué à travailler ensemble, puis il y a eu un transfert d’expertise qui s’est opéré.
À la base, quand je me suis jointe à l’entreprise, Denis était partenaire avec un de ses frères qui était un banquier, donc un gars de finance, alors que mon oncle était plus un gars de terrain. Mon mandat était ainsi de m’occuper de tous les départements d’administration de l’entreprise. Avec le temps, mon intérêt pour la construction et le développement des projets a fait en sorte que je suis devenue, je crois, le potentiel de relève évident pour reprendre l’entreprise.
Il y a une dizaine d’années, j’ai d’ailleurs suivi des cours en construction pour devenir entrepreneure générale, j’ai aussi suivi des cours pour devenir courtière… Donc chaque année, j’ai cherché à me former, j’ai assisté à beaucoup de congrès, tout ça dans le but d’ajouter des cordes à mon arc. C’est comme si, tranquillement, j’avais pavé le chemin qu’aujourd’hui on est en train de construire.
Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise votre style de leadership ?
Je dirais que j’ai un leadership très collaboratif. J’ai la chance de compter sur une équipe hyper stable, où il y a beaucoup de collaboration, beaucoup d’entraide. On est très collégial dans l’entreprise, il y a très peu de hiérarchie, si bien qu’on travaille beaucoup en équipe. Je pense qu’une de mes forces de gestionnaire est que je sais bien m’entourer. J’ai confiance en mon équipe, et je pense que la relation que j’ai avec les membres de celle-ci fait en sorte d’une part qu’ils restent, mais d’autre part, que les gens sont passionnés et se démarquent grâce à ça.
Être capable de trouver des personnes meilleures que moi dans certains domaines et de les propulser, c’est vraiment quelque chose que j’adore. Il y en a dans mon équipe qui ont commencé comme hôtesses dans les bureaux des ventes et qui aujourd’hui sont directrices d’un département, donc j’aime voir les gens évoluer.
Rachel Julien célèbre ses trente ans cette année. qu’est-ce qui, selon vous, a fait le succès de l’entreprise jusqu’à maintenant ?
Il y a certainement plusieurs facteurs, mais je dirais la collaboration. On va se le dire : c’est tough, l’immobilier. Il y a des coups durs, parfois. Il y a des imprévus et des choses qui ne se passent pas comme on le souhaite. Donc peu importe ce qui se passe, que ce soit avec nos clients ou avec nos sous-traitants, s’il y a de quoi qui ne marche pas, bien on s’assoit et on essaie de travailler pour trouver des solutions. Je pense que ça fait certainement une différence dans les moments plus difficiles qu’on peut traverser.
Je dirais aussi l’innovation. Aujourd’hui, tout le monde fait des projets responsables et de plus en plus durables, mais nous ça fait depuis 20 ans qu’on fait ça. On a, par exemple, fait le premier projet en hauteur certifié Novoclimat à Montréal.
Même chose pour les logiciels : tous nos départements sont 100 % informatisés depuis longtemps, donc on est vraiment à l’affût des dernières technologies. Nous sommes parmi les premiers à avoir informatisé complètement nos chantiers à Montréal. Tout le monde est sur tablette, ce qui permet une meilleure coordination en chantier en plus d’être plus productif. Ça fait aussi plusieurs années que tous nos contrats préliminaires sont informatisés, donc des contrats papier, des baux papier, ça n’existe plus. On a aussi été parmi les premiers à avoir un bureau de vente sans plan, donc juste avec des écrans tactiles pour présenter le projet. Bref, on ne lésine pas sur les dépenses en informatique.
Quels sont actuellement les principaux défis de Rachel Julien ?
En ce moment, ça va super bien. Mais c’est certain que je rencontre des défis du point de vue des facteurs macroéconomiques. Donc en ce moment, la mathématique derrière le montage financier des projets est plus difficile, si bien qu’il faut vrai- ment user d’ingénierie financière pour être en mesure de lever nos projets immobiliers. Je suis chanceuse : on a une équipe qui est forte en finances immobilières, mais indiscutablement, mon plus gros défi, ce sont les taux d’intérêt, suivis par les coûts de construction qui ont augmenté de près de 40 % pendant la covid. Ils ont arrêté de monter de manière fulgurante, mais ils sont mal- heureusement encore là.
Rachel Julien, comme promoteur, a toujours souhaité favoriser l’accès à la propriété dans la majorité de ses projets, mais je dois avouer qu’aujourd’hui c’est de plus en plus difficile de créer des unités de logement qui soient accessibles pour les premiers acheteurs. C’est vraiment notre plus gros défi. On essaie de travailler sur un programme de location-achat dans le but de faire une différence dans un marché qui est si peu permissif pour la jeune génération.
Aujourd’hui, comment se déclinent les principaux axes de la stratégie de croissance de Rachel Julien ?
On est une petite entreprise, et on souhaite le demeurer. Je n’ai donc pas la volonté de faire une croissance fulgurante. Nous, on est verticalement intégrés à toutes les étapes de la réalisation d’un projet en plus de le détenir à long terme. C’est lourd, mais c’est un choix, parce que ça nous permet de contrôler la qualité de nos projets.
Un volet qui est en croissance, c’est la gestion immobilière. D’ici trois ans, on aura l’équivalent de 700 unités sous gestion. Pour le reste, on veut continuer à faire du développement immobilier à Montréal. On aime beaucoup Hochelaga-Maisonneuve où nous avons notre siège social et qui est un secteur que l’on affectionne particulièrement pour sa proximité du centre-ville, et d’autre part, pour la multitude d’infrastructures institutionnelles et culturelles qui font en sorte qu’il est très bien desservi et qu’il y a une véritable vie de quartier. Mais on souhaite aussi s’étendre à la banlieue très proche de Montréal, à proximité des commerces et des transports structurants.
Le développement durable semble très important pour votre entreprise. Qu’avez-vous fait en ce sens dans les dernières années et comment comptez-vous poursuivre ces efforts à l’avenir ?
On fait plusieurs choses ! Nos bureaux sont situés à côté du métro, donc on rembourse la passe mensuelle de nos employés et on a même plusieurs passes de disponibles à la réception parce qu’on veut vraiment encourager ce mode de transport-là. On a même tout récemment fait l’acquisition d’un vélo électrique et on va en acheter un autre l’année prochaine. L’idée, c’est que tant qu’à prendre le métro, c’est aussi rapide de venir en vélo électrique.
Sinon, dans nos projets, on fait toujours des analyses de cycle de vie sur l’ensemble de nos immeubles, on fait aussi des simulations énergétiques et on a des enveloppes qui sont substantiellement plus performantes que nos compétiteurs. Par exemple, dans notre récent projet Canoë Phase 1, on est à environ 77 % de réduction de GES et nous avons une efficacité énergétique de 43 % supérieure par rapport au Code national de l’énergie pour les bâtiments (CNÉB) 2017. On analyse toujours l’ensemble des possibilités, notamment en matière de récupération d’eau et d’appareils à faible débit. Donc c’est vraiment dans l’ADN de l’entreprise.
Comment faites-vous pour rester à l’affût des tendances de l’industrie et du marché en termes d’innovation ?
Je cherche continuellement à me former, à m’informer, et j’at- tends la même chose de mon équipe. On assiste, moi comme mon équipe, à de multitudes de congrès, de formations et de colloques. Je voyage aussi beaucoup parce que j’aime ça, mais également parce que c’est une grande source d’inspiration. Il y a certains endroits en Europe, comme la Suède, où on peut aller chercher des éléments très avant-gardistes en matière de développement durable. Je lis aussi énormément, j’écoute beaucoup de balados et je suis énormément la politique locale et internationale.
Quelles nouvelles tendances se dessinent selon vous dans l’industrie, tant sur le plan de la gestion d’entreprise que sur celui de la productivité sur les chantiers ? lesquelles souhaitez-vous suivre ?
Pour le développement immobilier, je m’intéresse aux modèles émergents en financement pour permettre et favoriser l’accession à la propriété. C’est vraiment quelque chose sur lequel je lis beau- coup et pour lequel je fais beaucoup de rencontres actuellement. Je me penche aussi sur l’ingénierie financière en ce qui concerne les montages financiers pour des projets multirésidentiels locatifs.
D’un point de vue constructif, je place beaucoup d’espoir dans tout ce qui est préfab, donc tout ce qu’on peut préfabriquer pour essayer de gagner dans la cadence de chantier et conséquemment abaisser les coûts, et donc favoriser des unités qui soient plus abordables. C’est un point que je souhaite approfondir davantage afin de faire des constructions qui soient toujours mieux et abordables pour les gens.
Cet article est tiré du Magazine – Les Leaders de la construction 2024. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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