Dossiers
15 septembre 2015
Par Mathieu Fleury, architecte, P.A. LEED C+CB*
L’industrie de la construction du Québec est fébrile. En effet, le 17 août dernier, le gouvernement du Québec a officiellement annoncé la publication de l’ouvrage intitulé Bâtiments de construction massive en bois d’au plus 12 étages.
Fruit d’une collaboration entre la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) et l’organisme FP Innovation, le nouveau guide établit les lignes directrices pour la construction de bâtiment de grande hauteur à structure de bois.
Auparavant, la construction de ce type de projet novateur exigeait que ceux-ci soient soumis à une demande de mesures différentes auprès de la RBQ, processus parfois long et au dénouement incertain. Désormais, les concepteurs peuvent éviter cette procédure en se conformant aux exigences du nouveau guide.
L’industrie de la foresterie est d’une importance majeure dans l’économie québécoise. Elle exploite une ressource renouvelable, fragile, mais potentiellement abondante. Cette annonce réjouit l’industrie qui y voit un débouché additionnel pour des produits de troisième transformation, à forte valeur ajoutée.Au-delà des enjeux et bienfaits économiques, l’industrie de la construction, particulièrement soucieuse des impacts environnementaux de ses activités, y voit une opportunité additionnelle de réduire ceux-ci et d’améliorer encore davantage la performance environnementale des bâtiments.
Un mouvement mondial
Le Québec, de par ses politiques favorisant l’utilisation du bois dans la construction, s’inscrit dans un mouvement mondial global visant à réduire l’empreinte carbone de notre environnement bâti. En effet, des mesures similaires existent ailleurs au Canada, notamment en Ontario et en Colombie-Britannique, mais également à l’international : des pays comme la France, l’Angleterre et le Japon ont mis en place des politiques favorisant l’utilisation de ce matériau noble qu’est le bois. Cela dans l’objectif de réduire, voire d’éliminer, les émissions de carbone engendrées par le secteur du bâtiment.
Aux Pays-Bas, le code de construction 2012 exige qu’une analyse complète et rigoureuse du cycle de vie des bâtiments soit réalisée afin de pouvoir obtenir un permis de construction. Toutes les nouvelles maisons construites en Angleterre à partir de 2016 devront avoir une empreinte carbone nette zéro. L’ensemble de ces politiques favorise l’utilisation du bois, parfois indirectement, car celle-ci constitue un des moyens les plus accessibles pour la réalisation de bâtiments neutres en carbone. À quand des objectifs aussi audacieux au Québec ?
De nouveaux outils pour l'industrie
Cet intérêt grandissant pour les impacts des émissions de carbone dans l’atmosphère a entrainé le développement de nombreux outils de calcul pour divers produits et maintes activités. Pour les architectes et intervenants de l’industrie de la construction, un outil est particulièrement utilisé : le WoodWorks carbon calculator[1].
Celui-ci permet de calculer la quantité de carbone séquestrée dans le bois utilisé pour une construction, les émissions de gaz à effet de serre évitées par l’utilisation du matériau de même que le temps requis par les forêts nord-américaines pour produire le volume de bois utilisé dans le bâtiment visé. Il s’agit d’un outil en ligne particulièrement efficace et facile d’utilisation.
Les utilisateurs doivent entrer les données relatives aux différents produits de bois utilisés dans une construction donnée, soit le type de produit et la quantité. Évidemment, plus les informations sont précises, plus les résultats le seront. Comme la plupart des professionnels de la conception de bâtiments utilisent maintenant des outils technologiques de modélisation des données de bâtiment (BIM[2]), il est possible pour eux d’avoir accès à une information très proche de la réalité, pratiquement exacte. Cet outil permet de mesurer rapidement les avantages environnementaux du bois et les résultats sont souvent étonnants.
Par exemple, le Bullitt Center situé à Seattle, dont il fut question dans une chronique précédente, présente les résultats suivants : l’utilisation d’un volume de 926 mètres cubes de bois a permis d’éviter l’émission de 1703 tonnes métriques de CO2 comparativement à une construction réalisée à partir de matériaux conventionnels. Cela équivaut à retirer 325 voitures de la route pendant un an ou à l’énergie utilisée par une résidence unifamiliale pendant 145 ans. Une des données les plus intéressantes calculées par le logiciel est le temps requis par les forêts nord-américaines pour produire le volume de bois utilisé.
Pour le Bullitt Center de Seattle, les 926 mètres cubes utilisés dans la construction nécessitent deux minutes à produire par nos forêts. Cela démontre à quel point la ressource est abondante et, si celle-ci est gérée correctement, notamment selon les critères FSC, à quel point celle-ci est renouvelable.
En établissant des lignes directrices claires pour la construction d’immeuble en hauteur à structure de bois et en éliminant le recours au processus de demande de mesures équivalentes de la RBQ, les instances législatives permettent d’accélérer la transformation de l’industrie de la construction et de faire évoluer celle-ci vers des pratiques novatrices et responsables.
Et les effets bénéfiques sont nombreux : la demande pour les produits à valeur ajoutée issue de notre industrie forestière augmentera et de nouveaux emplois seront créés. Les professionnels développeront une nouvelle expertise pour ce type de construction.
Encore une fois, les innovations de l’approche environnementale en construction permettront de stimuler notre économie pour notre bénéfice immédiat, et cela, sans compromettre les générations futures.
L’auteur est architecte pour la firme Vachon & Roy à Gaspé. On peut communiquer avec lui par courriel à mfleury@vachonroyarchitectes.com.
Cette chronique est parue dans l’édition du 28 août 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
