Régulièrement, les tribunaux rendent des décisions en matière d’appel d’offres, lesquelles sont de belles occasions de revoir les principes juridiques applicables. C’est particulièrement le cas des décisions en matière de conformité des soumissions.
Dans la récente affaire Benoit Tremblay Entrepreneur général inc. c. Garage Martin Gaudreault inc.[1], la Cour supérieure devait se prononcer sur une demande en nullité du contrat d’exécution formulée par le deuxième plus bas soumissionnaire conforme. La demanderesse réclamait également des dommages représentant les pertes de profits.
La demande est fondée sur la prétention que le plus bas soumissionnaire aurait fait des déclarations trompeuses. Au cœur du litige : une divergence entre les équipements inscrits dans la soumission et ceux utilisés en cours de contrat.
Les faits
À l’été 2022, la Municipalité des Éboulements (la « Municipalité ») lance un appel d’offres public pour le déneigement de cette partie de son territoire pour les hivers 2022-2023 et 2023-2024.
Deux entreprises répondent à l’appel d’offres, soit la demanderesse, BT Entrepreneur Général (« BT »), et la défenderesse Garage Martin Gaudreault (« Gaudreault »). À l’ouverture des soumissions, Gaudreault est le plus bas soumissionnaire et la Municipalité lui octroie le contrat.
À la suite de l’adjudication, le représentant de BT communique avec la Municipalité. Il soupçonne que Gaudreault ne possède pas l’équipement nécessaire pour répondre aux exigences de l’appel d’offres. Puisque Gaudreault a déjà obtenu le contrat de déneigement de la municipalité voisine, Gaudreault ne possèderait pas assez d’équipement pour répondre en même temps aux exigences des deux municipalités.
Après des démarches pour obtenir des informations relativement aux soumissions de Gaudreault pour les deux municipalités, BT constate que Gaudreault a acquis ou loué des équipements pour pouvoir réaliser le présent contrat, alors qu’au moment de soumissionner, ce dernier a inscrit aux documents de soumission les équipements utilisés pour réaliser le déneigement de la municipalité voisine.
Estimant que Gaudreault a commis une faute civile et une manœuvre trompeuse, BT demande l’annulation du contrat de déneigement, et réclame de Gaudreault et de la Municipalité la somme de 77 533,75 $, soit la perte de profits pour l’hiver 2022-2023.
Prétentions des parties
BT estime que Gaudreault a commis une faute civile en déclarant, dans sa soumission, les numéros d’immatriculation des chasse-neige déjà utilisés l’hiver précédent pour le déneigement sur le territoire de la municipalité voisine. N’étant pas propriétaire, au moment du dépôt de sa soumission, d’autres équipements (chasse-neige) correspondant aux exigences du devis, elle fait une déclaration fausse et trompeuse.
Gaudreault soutient que BT ne peut requérir la nullité du contrat de déneigement. En effet, le contrat de déneigement est le contrat d’exécution, le contrat « B ». Lorsque le contrat « B » est conclu, les autres soumissionnaires n’ont pas l’intérêt juridique pour demander la nullité d’un contrat auquel ils ne sont pas parties.
La Municipalité estime que le contrat n’a pas à être annulé. Elle dit avoir respecté les principes d’équité entre les soumissionnaires.
La décision
Dans son témoignage à l’audience, le représentant de Gaudreault éclaircit la situation des équipements de sa compagnie.
Ce dernier dit avoir soumissionné en indiquant à l’annexe de la soumission les deux mêmes camions chasse-neige utilisés l’hiver précédent pour le contrat de déneigement de la ville voisine. Toutefois, son intention n’a jamais été d’utiliser ces camions pour le présent contrat. C’est pourquoi il a d’abord loué un camion et que, postérieurement au dépôt de sa soumission il a acquis un autre camion.
En somme, les camions utilisés pour réaliser le contrat ne sont pas ceux indiqués à la soumission, mais plutôt des camions loués et/ou achetés postérieurement au dépôt de la soumission.
Le Tribunal doit décider si la soumission de Gaudreault est conforme.
La Cour réfère d’abord aux exigences de l’appel d’offres :
Les équipements requis doivent être en possession du soumissionnaire au moment du dépôt de la soumission, tel que requis à l’article 12, soit les deux (2) chasse-neige, et le soumissionnaire doit fournir la liste des équipements avec les numéros de série et les certificats d’immatriculation et d’assurances.
La soumission de Gaudreault est conforme en ce sens : elle a fourni l’annexe et l’information requises, elle est propriétaire des équipements au moment du dépôt de la soumission, et ces équipements respectent les exigences techniques du devis d’appel d’offres.
Par ailleurs, il n’est pas interdit à Gaudreault de substituer les équipements en cours d’exécution du contrat, pourvu qu’il respecte les exigences du devis au moment de soumissionner. Le tribunal n’a pas à s’immiscer dans la gestion et l’organisation de l’entreprise soumissionnaire au moment d’analyser la conformité d’une soumission.
En somme, la demanderesse BT n’a pas réussi à faire la démonstration que Gaudreault a fait une déclaration trompeuse. Il y a donc absence de faute, au sens de l’article 1457 C.c.Q. La demande en dommages est rejetée. La Cour précise également que la demanderesse n’a pas l’intérêt juridique pour demander la nullité contractuelle, puisqu’il s’agit du contrat d’exécution, le contrat « B ».
Conclusion
En somme, la Cour rappelle qu’il y a lieu de faire place à une certaine latitude quand il s’agit d’analyser la conformité d’une soumission. Par ailleurs, elle rappelle aussi qu’un autre soumissionnaire que celui retenu n’a pas l’intérêt juridique pour demander la nullité du contrat d’exécution.
1. Benoit Tremblay Entrepreneur général inc. c. Garage Martin Gaudreault inc., 2024 QCCS 4550.
Cet article est paru dans l’édition du 27 mars 2025 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.