La construction à l’heure de l’intelligence artificielle

7 août 2017
Par Pierre-Luc Déry

Un virage technologique d’importance où les données numériques joueront un grand rôle est déjà en train de se produire.

Cela entraînera de grands défis pour les architectes, les ingénieurs, les donneurs d’ouvrages et les gestionnaires. Les exigences se complexifiant et les méthodes progressant rapidement avec l’arrivée de nouvelles technologies, le domaine de la construction subira des transformations majeures dans les années à venir.

 

Une plus grande densité urbaine

En 2050, plus des deux tiers de la population mondiale vivra dans les villes. D’ailleurs, Montréal se prépare déjà à cette éventualité, en prévoyant intégrer 100 000 nouveaux résidents dans le centre-ville d’ici cette date, principalement par la reconversion de bâtiments sous-utilisés ou inoccupés[1].

 

Ce genre de mesures poussera les métropoles à intégrer des modèles de développement beaucoup plus efficaces sur le plan des infrastructures et favorisant la qualité de vie de leurs citoyens. Déjà on peut observer, avec l’apparition de nouvelles approches liées au développement durable  dans l’aménagement de nos villes – telles que le Smart Growth, le nouvel urbanisme, l’urbanisme vert, les écoquartiers ou bien le Transit-Oriented Development (TOD) –, un désir de créer un environnement de vie agréable, mais permettant une plus grande densité de population.

 

Pourtant, cette exigence mène à une complexification de l’aménagement urbain; on ne peut plus construire pour répondre seulement à une simple demande. De plus, la lutte aux changements climatiques et l’utilisation d’un espace de plus en plus restreint nécessitent des outils de conception sophistiqués.

 

Multiplication des données

L’arrivée du BIM (Building Information Modeling) ces dernières années a transformé la conception, la réalisation, l’exploitation et la gestion des bâtiments. En bref, le BIM est à la fois un logiciel, une base de données et un processus permettant la collaboration entre les intervenants, qu’ils soient donneurs d’ouvrage, architectes, ingénieurs ou gestionnaires[2].

 

En offrant une version unifiée des projets, basée sur des données techniques et fonctionnelles standardisées, le BIM prévient les défauts de construction en cours.  Une fois le projet terminé, il permet également de contrôler les incidents techniques ou des pannes survenant dans l’exploitation du bâtiment[3].

 

En permettant de quantifier, même après sa construction, divers aspects d’un bâtiment comme les infrastructures, les systèmes d’eau ou d’énergie, la circulation, les déchets, le bruit, etc., on en vient à mieux concevoir les prochains projets. De plus, le BIM permettant également de connecter les édifices eux-mêmes, on peut dorénavant faire une maquette numérique d’un quartier, même d’une ville, facilitant ainsi la prise de décision en matière d’urbanisme[4].

 

Exemple de maquette numérique utilisée dans le processus BIM - Photo du Cégep de Limoilou

 

Les habitudes quotidiennes influenceront également la façon de concevoir les habitations de demain.  Avec l’Internet of things, les articles les plus banals, comme votre réfrigérateur, votre laveuse, votre téléviseur ou bien le petit robot qui passe l’aspirateur, émettent des données concernant leur utilisation[5]. De plus, avec la domotique, la plupart des objets électriques peuvent dorénavant être gérés par un logiciel qui, évidemment, produira des données sur ses utilisateurs. Celles-ci peuvent non seulement faciliter la gestion des foyers, mais aussi offrir des pistes de solution pour la construction ou le réaménagement des immeubles.

 

Les données provenant d’un logement ou d’un local à bureau peuvent avoir une incidence sur la conception ou le réaménagement d’un bâtiment, qui en aura une sur celle du quartier, qui à son tour permettra de mieux concevoir la ville.  La connectivité des différents ensembles entraînera donc une gestion plus efficace, sur le plan énergétique, des déplacements ainsi que de l’espace utilisé[6].

 

Toutes ces données, par contre, laissent les concepteurs avec un nombre démesuré d’informations, sans pouvoir profiter encore de méthode ou d’outil facilitant la prise de décision. Les façons de faire actuelles devront laisser la place à des méthodes mettant en relation tous les paramètres à l’aide d’un système qui les calculerait lui-même[7]. C’est ici que l’intelligence artificielle entre en jeu.

 

Intelligence artificielle

Il faut comprendre que l’intelligence artificielle n’est qu’un système s’adonnant à des tâches mathématiques et logiques à partir de paramètres préétablis par le concepteur. Ce qui distingue l’intelligence artificielle des logiciels classiques est sa conception selon l’approche du deep learning, où le système a la capacité de s’améliorer en se basant sur les expériences précédentes. Cette approche nous a déjà apporté des technologies comme Siri et permettra prochainement l’arrivée des voitures autonomes sur nos routes[8].

 

Cette technologie pourra accomplir de nombreuses tâches, réalisées présentement par des êtres humains, en plus de les effectuer plus rapidement. Sans pour autant concevoir des édifices à la place des architectes, l’intelligence artificielle sera en mesure de reconnaître les problèmes avant qu’ils ne surviennent et de mieux juger de la qualité ou de l’efficacité d’un design. Les solutions enregistrées dans le passé pourront  également être intégrées dans les nouveaux projets[9].

 

De nouvelles opportunités

L’augmentation exponentielle des données numériques demandera un nouveau système de gestion. Il ne sera plus suffisant de concevoir et de construire des bâtiments, mais il faudra également gérer le flux d’informations produit par le bâtiment lui-même ainsi que par ses occupants. Ceci pourra être utile non seulement pour construire de nouveaux édifices, mais également pour recueillir une nouvelle ressource qui pourrait intéresser d’autres partenaires.

 

Si ces données en venaient à avoir une valeur plus qu’appréciable, on pourrait même assumer que, dans l’avenir, les promoteurs récolteraient plus de bénéfice à faire vivre des personnes dans les habitations qu’à leur vendre ou leur louer le bien physique. Il serait prématuré, toutefois, d’en venir à de telles conclusions.

 

On peut avancer, cependant, que le domaine de la construction et le marché de l’habitation connaîtront de grandes transformations dans les années à venir. Les acteurs œuvrant dans ces milieux devront demeurer attentifs aux innovations qui pourraient s’accélérer et affecter grandement ceux qui ne sauraient pas s’y adapter. 

 


[1] Montréal, Stratégie centre-ville : soutenir l'élan. Document de consultation 2016.

[2] Marie Gagnon, «Bâtir à l’ère numérique - Repenser l’industrie avec le BIM»,  Journal Constructo, Supplément thématique – Bâtiment 2015. En ligne.

[3-4-5-6] Yannick Mireur, « Maquettes numériques : comment construira-t-on les villes du futur ? », Le Figaro, 25 juillet 2017. En Ligne

[7] Patrick Chopson, «Thoughts on Artificials Intelligence and the Future of Architecture Pratice». 12 janvier 2016. En ligne

[8] Rory Hyde, «Architecture in the coming age of Artificial Intelligence», 11 janvier 2016. En ligne

[9] Association of Equipment Manufacturers, «How Artificial Intelligence Could Revolutionize Construction», 17 octobre 2016. En ligne