3 juillet 2019
Par Aurélie Beaupré

En bordure de l’estuaire, de rivières ou du golfe du Saint-Laurent, l’érosion des berges ne cesse de prendre de l’ampleur en raison de la fréquence accrue des tempêtes occasionnées par les changements climatiques. Heureusement, l’expertise développée lors des dernières années en ce qui a trait aux ouvrages de protection permet de freiner ce phénomène naturel.

L’aménagement du territoire subit fortement l’influence de l’érosion des berges, cette dernière conditionnant la disposition des villes et imposant parfois l’aménagement d’ouvrages de protection. « Certains ouvrages peuvent toutefois s’avérer inefficaces ou causer des nuisances aux terrains adjacents.

 

Susan Drejza, agente de recherche à la chaire de recherche en géoscience côtière à l'Université du Québec à Rimouski. Photo :  Sylvio Demers

 

La sélection d’un type d’ouvrage nécessite donc des études géomorphologiques », explique Susan Drejza, agente de recherche à la chaire en géoscience côtière de l’UQAR. Des techniques plus efficaces et adaptées aux différents milieux riverains ont toutefois été développées lors des dernières années. Les travaux effectués à Percé à la suite d’importantes tempêtes figurent parmi les exemples de réussite.

 

Percé, un projet innovant En décembre 2016 et en janvier 2017, deux tempêtes d’une violence inhabituelle se sont abattues sur Percé, causant d’importants dommages aux infrastructures de protection du littoral. Le mur de béton qui faisait office de protection étant détruit, les propriétés commerciales et résidentielles situées au coeur du centre touristique se voyaient exposées aux aléas d’éventuelles tempêtes. Or, c’est dans un contexte d’urgence que le projet de réhabilitation et de protection du littoral a été mis sur pied.

 

Les travaux de protection, effectués par la firme d’ingénierie Tetra Tech, devaient donc être accomplis dans un laps de temps restreint. « Travailler dans un contexte d’urgence exige un effort d’organisation encore plus grand qu’à l’habitude. On doit s’assurer que les différents acteurs du projet, que ce soit le client, les autorités gouvernementales ou les différentes équipes, communiquent bien entre eux. Il faut que les étapes soient bien coordonnées afin de respecter un échéancier serré », explique Jean Gauthier, directeur de la division Ressources Eau chez Tetra Tech.

 

Jean Gauthier, ingénieur et directeur de la division Ressources et eau chez Tetra Tech. Photo : Tetra Tech

 

Plusieurs études visant à cerner les besoins et à caractériser le milieu environnemental ont d’abord été menées afin de sélectionner la méthode optimale de protection. Après un calcul des couts-bénéfices, la technique de recharge de plage avec des galets a été choisie par la firme puisqu’elle constitue une méthode de protection côtière douce. Elle s’adapte aux vagues, au vent et à la glace auxquels elle est soumise au lieu de leur faire obstacle comme le font les murs de protection qui s’inscrivent parmi les méthodes de protection dures. « Plusieurs raisons motivent ce choix. La technique de recharge de plage était celle qui engendrait les moindres couts. Même si on doit y opérer des travaux ponctuels, les couts afférents à cette pratique sont amplement inférieurs à ceux qui auraient été engendrés par la construction d’un mur », souligne Jean Gauthier.

 

Par ailleurs, la recharge de plage offre une intégration au paysage exemplaire. « C’était indéniablement un enjeu de trouver une technique qui ne dénature pas le milieu en raison du caractère hautement touristique du site », explique Jean Gauthier. En permettant de recréer une plage similaire à la plage naturelle préexistante, laquelle a été affectée par le ressac des vagues sur le mur de protection initial, cette technique a pour effet d’améliorer l’esthétique du paysage et le potentiel d’utilisation à des fins récréotouristiques.

 

« D’ailleurs, quand on regarde des photos d’archives, on peut observer qu’une plage de galets occupait cet endroit, et ce, avant la construction du mur. La nature nous a donc inspirés », nous fait remarquer Jean Gauthier.

 

Afin d’assurer un déroulement efficace des travaux, le projet a été accompli par phases. Les plans et devis ont été exécutés au fur et à mesure pour chacune d’entre elles. Seulement 15 mois ont été nécessaires à Tetra Tech pour accomplir des travaux d’importance, soit le déplacement de plus de 118 000 tonnes de galets et l’aménagement d’une promenade en bord de mer. « Pour un projet de cette envergure, c’est très rapide. Habituellement, un tel projet aurait pris plus du double de temps », souligne Jean Gauthier.

 

Le projet de protection du littoral de Percé constituera assurément un cas d’étude pour les futurs projets de rechargement à ces latitudes. Il se démarque bien sûr par la rapidité à laquelle il a été exécuté, mais surtout parce qu’il représente le premier rechargement de gravier de cette ampleur de la province. Ces avancées majeures expliquent sans doute pourquoi le projet s’est vu décerné le prix visionnaire aux Grands Prix du génie-conseil québécois 2019.

 

Autres endroits, même enjeu

Percé est loin d’être la seule municipalité touchée par cet enjeu. « Plusieurs des équipes de chercheurs s’affairent à mesurer l’érosion des berges à plusieurs endroits dans l’est du Québec, à partir de la capitale nationale jusqu’à Kegaska sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, ainsi que de Berthier-sur- Mer jusqu’à Pointe-à-la-Garde sur sa rive sud », souligne Susan Drejza. Souvent dotées de peu de ressources, ces dernières doivent toutefois se résigner à assister à l’effritement de leur territoire.

 

Serge Bourgeois, directeur de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme des Îles-de-la-Madeleine.  Photo : Municipalité des Îles-de-la-Madeleine

 

« Depuis quelques années, le phénomène d’érosion s’est accéléré à la vitesse grand V et s’est rendu à nos infrastructures publiques », observe Serge Bourgeois, directeur de l’urbanisme et de l’aménagement aux Îles-de-la-Madeleine. Les couts des ouvrages de protection des berges étant élevés, l’érosion constitue davantage un enjeu économique qu’écologique pour les municipalités. « Il est beaucoup plus facile d’obtenir du financement ou des autorisations lorsqu’on est en situation de crise; en amont, on n’arrive même pas à assumer les couts pour effectuer des ouvrages de prévention. Alors, avec des groupes environnementaux, on tente d’effectuer des travaux de prévention artisanaux avec des cages à homard ou des vieux sapins de Noël, par exemple », témoigne Serge Bourgeois.

 

En plus d’un manque criant de ressources financières, les municipalités sont souvent aux prises avec un manque de ressources techniques. « Ce que je remarque, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de firmes spécialisées dans ce domaine. On a essayé de trouver des spécialistes pour effectuer un projet sur le site historique de la Grave, et on n’a trouvé personne. On a donc dû reporter le projet », déplore Serge Bourgeois.

 

Ces lacunes risquent de se faire davantage sentir au cours des prochaines années. « On note une hausse des tempêtes ayant un impact sur la côte, entre autres en raison de la fonte des glaces qui ne peuvent plus assurer une protection naturelle », note Susan Dejza. Des résultats tels que ceux obtenus à Percé offrent toutefois une lueur d’espoir pour les municipalités touchées par l’érosion des berges.

 

UN PHÉNOMÈNE À SURVEILLER

Plus de 7 000 stations de mesure permettent actuellement aux chercheurs de mesurer l’ampleur de ce phénomène et de prédire ses effets. Ce suivi dévoile que l’érosion emporte en moyenne près de 50 centimètres de terre par année dans les endroits touchés. Chaque secteur touché offre toutefois une situation géomorphologique unique en raison de la composition du sol et du mouvement des vagues, ce qui rend d’autant plus complexe pour les experts la détermination de la meilleure méthode de protection à employer.