Les événements extrêmes reliés au climat frappent de plus en plus souvent le Québec, impactant les infrastructures en énergie qui ne sont pas nécessairement aptes à y résister. Comment rendre ces dernières plus résilientes ?
Ce serait le déluge du Saguenay, en 1996, puis la tempête de verglas, en 1998, qui auraient marqué non seulement les esprits, mais le début des impacts des changements climatiques au Québec. Les conséquences avaient été majeures sur les individus et les infrastructures : des morts avaient été déplorés au Saguenay et le grand Montréal avait été privé en partie d’électricité. « Depuis une quinzaine d’années, on enregistre de plus en plus d’événements et on voit une encore plus grande fréquence des phénomènes, dont certains ont même battu des records historiques! », fait remarquer Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie au Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
La résilience, pour une infrastructure, c’est ce qui lui permet de non seulement être capable de résister à un aléa, mais de s’en remettre. « Ça veut dire que même si elle peut être en partie endommagée, son intégrité n’est pas mise en cause », explique le professeur, aussi directeur du Réseau Inondations InterSectoriel du Québec. « Ce concept, de rebondir face à un événement, est aussi un processus itératif, poursuit-il. Quelque chose se passe, on se rend compte que ça peut avoir des conséquences, mais il faut se servir de ce qui s’est produit pour tirer une leçon. » Par exemple, à la suite de la tempête de verglas de 1998, un rapport avait suggéré d’enfouir les lignes de distribution pour les rendre moins sensibles au verglas et au vent… ce qui n’a pas été fait.
« Les villes qui construisent de nouveaux bâtiments devraient être obligées d’enfouir les lignes, évidemment avec l’accord d’Hydro-Québec », croit Philippe Gachon. Car les grands vents, les tempêtes de verglas ainsi que les inondations (reliées au débordement ou au ruissellement) et les feux de forêt sont les phénomènes les plus propices à endommager les infrastructures en énergie. « Ces dernières ont, pour la plupart, été conçues dans les années 1950, 1960, dans une période où on ne tenait pas compte des changements climatiques, comme ils sont apparus dans les années 1990 », ajoute-t-il.
Hydro-résilient
Les vents violents prennent souvent pour cible le réseau de distribution d’Hydro-Québec, qui comprend les poteaux électriques près des maisons et des commerces, notamment. En contrepartie, les vents impactent beaucoup moins le réseau de transport de la société d’État, qui rassemble entre autres les gigantesques pylônes le long des autoroutes et qui représente 35 000 kilomètres de lignes à haute tension. C’est plutôt la hausse des températures et l’augmentation des périodes de canicule qui influencent le bon fonctionnement de ce réseau. « À mesure qu’on fait passer plus de courant dans la ligne, le conducteur se réchauffe. Et à mesure qu’il se réchauffe, il s’étire et descend vers le sol. Il existe une limite de température maximale pour s’assurer que le dégagement au sol reste sécuritaire en tout temps », précise Pierre-Jean Rioux, ingénieur civil chez Hydro-Québec.
La société d’État développe actuellement un outil afin d’enregistrer et de suivre les modifications de température de son réseau de transport. « C’est le suivi dynamique de la température. Il y aura des capteurs qui nous permettront de suivre en temps réel la température réelle. Nous avons espoir que nous pourrons augmenter de beaucoup l’ampérage dans nos lignes en suivant directement la situation. Car par exemple, aussitôt qu’il y a du vent, ça change tout : il vient climatiser les lignes, qui prennent rapidement la température de l’air », mentionne l’ingénieur civil.
De plus, une autre solution a été mise de l’avant : le rehaussement thermique. « Il y a certains endroits où la prise de mesures ne sera pas suffisante. Nous rencontrons parfois des défis de dégagement et de limitation assez importants, comme c’est le cas pour quelques lignes qui croisent des autoroutes. Alors, nous rehausserons les pylônes », indique-t-il. Il s’agit d’une procédure où les travailleurs viennent insérer une section de pylône (mesurant entre 1,5 et 3 mètres) au milieu de la structure afin de la rendre plus haute qu’à l’origine, ce qui permet par la suite d’augmenter sans souci la température de transit.
Et en ce qui concerne les glissements de terrain, un autre phénomène des plus dangereux, la société d’État a établi, il y a quelques années, une carte de zones à risque, dorénavant intégrée dès l’étape de conception du réseau. « Nous prenons les devants lors de la conception pour s’assurer de ne pas aller près ou à l’intérieur de ces zones », explique Pierre- Jean Rioux.
Un plan 2035… et 2100
Depuis l’année 2020 environ, Hydro-Québec réfléchit le développement de son réseau selon les changements climatiques. « Le facteur “changements climatiques” fait maintenant partie de notre conception des infrastructures. Ils sont étudiés en profondeur, nous réalisons des modélisations et cette intelligence fait partie intégrante de la conception », renseigne Lynn St-Laurent, conseillère principale et porte-parole aux Relations externes à la société d’État. Son Plan d’action 2035, paru en 2023, vise à améliorer la production et augmenter la quantité d’électricité disponible pour diminuer la consommation d’énergie fossile. Est aussi paru, en 2022, le Plan d’adaptation aux changements climatiques, dont une nouvelle version se prépare déjà pour 2025.
Il est aussi important de se rappeler que les grands pylônes en acier sont chaque fois construits pour durer de 80 à 100 ans. « On est dans l’horizon de 2100. On parle à ce moment de 6, 7, 8 degrés Celsius d’augmentation de température. C’est sûr qu’il faut faire la conception d’aujourd’hui en fonction de cela. La ligne doit être là et rendre le service pour les 100 prochaines années. C’est l’enjeu. On construit pour le très long terme et on doit tenir compte du futur », insiste Pierre-Jean Rioux.
Philippe Gachon abonde dans le même sens : « Les changements climatiques sont irréversibles. Ce ne sera plus jamais comme avant. Les infrastructures doivent être conçues non pas en fonction du passé, mais du futur. Il faut donc réduire les incertitudes, travailler en construction et en intersectionnalité pour trouver des solutions innovantes. » La clé, pour lui, réside aussi dans la sensibilisation et l’éducation, et ce, depuis le plus jeune âge. « Ce sont les enfants qui auront à vivre avec la situation, qui en seront conscients. C’est souvent eux qui changent les choses au sein de la famille. Et il faut aussi éduquer le grand public. La résilience doit être collective », conclut le professeur.
En Europe, plusieurs solutions ont été mises de l’avant afin de rendre davantage résilients les forêts et les cours d’eau. On s’assure par exemple, lorsque l’on plante des arbres, d’éviter certaines espèces plus inflammables. On évite aussi de construire les bâtiments trop près des forêts. En ce qui concerne les cours d’eau, certaines régions ont mis en place des « cuvettes », qui récupèrent temporairement l’eau de pluie et qui évitent ainsi que les fortes précipitations créent des inondations. Une pierre, trois coups : ces dernières deviennent par la même occasion des réservoirs pour les pompiers ainsi que des pare-feux naturels. « Pour les bâtiments, il existe aussi des toits non inflammables. On en parle déjà au Québec, la technologie est là. Il s’agit donc d’augmenter notre capacité à développer de telles structures pour éviter les conséquences des feux », explique Philippe Gachon.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2024. Pour un accès privilégié à l'ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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