Le Diamant et le Grand Théâtre : mises en scène audacieuses

29 octobre 2019
Par Marie Gagnon

À Québec, deux salles de spectacle sont le théâtre de prouesses architecturales et d’ingénierie.

Avec l’inauguration récente du théâtre Le Diamant et la réhabilitation du Grand Théâtre, la ville de Québec se positionne aujourd’hui comme une capitale culturelle et une destination incontournable dans l’univers du spectacle québécois. Mais avant que le rideau ne se lève sur ces scènes emblématiques, il aura d’abord fallu déployer des trésors d’ingéniosité pour en faire des lieux de diffusion inspirés et inspirants.

 

À commencer par Le Diamant, où le concept architectural imaginé par le consortium Coarchitecture, Atelier in situ et Jacques Plante architecte s’inspire de la mémoire du lieu tout en rendant hommage à l’architecte Joseph-Ferdinand Peachy, à qui l’on doit l’ancien YMCA, dont la façade a été conservée. Jouant avec la théâtralité, la lumière et la transparence, les concepteurs ont en outre coiffé l’édifice de 8 000 mètres carrés d’un atrium de verre dont la forme biscornue évoque celle d’un diamant.

 

Le projet, qui a nécessité un investissement de 57 millions de dollars, comportait plusieurs enjeux. En plus de conserver certains éléments patrimoniaux, les concepteurs devaient superposer deux salles, soit une salle de diffusion de 650 places et une salle de création, toutes deux pouvant être utilisées simultanément. Et, par conséquent, ne devant pas se gêner mutuellement.

 

Coup de théâtre

« Même si on avait voulu tout conserver de l’ancien YMCA, ç’aurait été impossible puisque les théâtres sont des établissements classés A-1 selon le Code, mentionne d’entrée de jeu Marie-Chantal Croft, architecte principale pour Coarchitecture. On ne pouvait donc pas conserver la structure de bois mais, en référence au passé, on a mis en valeur au premier étage les arches de bois qui encadraient auparavant les fenêtres de l’édifice, qui a entièrement été démoli. »

 

La vocation particulière du théâtre Le Diamant a nécessité des prouesses techniques et architecturales. Photo : Productions Ciné-Scène

 

À l’exception toutefois de la façade d’origine, qui a été étayée avant la démolition puis consolidée au moyen d’une croute de béton coulé de 40 centimètres. Pour faire disparaitre les outrages du temps, certaines pierres trop abimées ont été remplacées, les autres ayant retrouvé leur air de jeunesse grâce à un nettoyage en règle.

 

La toiture, qui avait été recouverte de bardeaux d’asphalte à une certaine époque, a également repris son look d’origine avec des tuiles d’ardoise et des garnitures de cuivre étamé.

 

Voltige structurale

Mais les principaux défis découlaient de la vocation et de l’aménagement mêmes de l’édifice. Le volume de diffusion principal, qui partait du rez-de-chaussée et s’élevait jusqu’au quatrième niveau, devait être parfaitement insonorisé afin de ne pas interférer avec la salle de création, aménagée aux sixième et septième niveaux. « Compte tenu de la vocation du lieu, on a opté pour une structure de béton pour des raisons acoustiques, signale Pierre Laliberté, chargé de projet pour Tetra Tech. Si ce n’avait pas été un théâtre, on l’aurait fait tout en acier, un matériau plus facile à travailler. »

 

Pour les mêmes raisons, un étage tampon a été aménagé entre les deux salles. Cet étage joue par ailleurs un rôle structural dans l’aménagement de la salle de diffusion de 25 mètres sur 25 mètres, conçue sans colonne. « Les dalles des niveaux 4 et 5 sont jointes par des murs-poutres en béton pour ne former qu’une seule structure », précise l’ingénieur, qui ajoute que le projet comptait trois grilles techniques, soit les équipements de levage, d’éclairage et de sonorisation, retenues aux fermes d’acier de la toiture au moyen d’un jeu de suspensions, tout comme les dalles des deux derniers niveaux.

 

Rideau de verre

La réhabilitation de l’enveloppe du Grand Théâtre a donné lieu à une solution encore plus spectaculaire. Et pour cause : le bâtiment construit à la fin des années 1960, qui abrite la Maison du Trident, l’Opéra et l’Orchestre symphonique de Québec, a été entièrement revêtu d’un écrin de verre afin de stopper la dégradation des panneaux de béton préfabriqué qui composent ses murs extérieurs.

 

« Le problème a commencé à se manifester sur les têtes des colonnes de béton préfabriqué qui ceinturent le bâtiment avant de se propager à l’ensemble de l’enveloppe, relate Albani Boudreau, chef du service de l’immeuble. Des morceaux de béton, parfois de la taille d’une rondelle de hockey, s’en détachaient et menaçaient les passants. On a d’abord embauché des cordistes qui, au moyen de leurs piolets, faisaient tomber les morceaux sur le point de se détacher. »

 

Mais la dégradation, loin de s’arrêter, prend de l’ampleur. Des sondages ont mis en évidence la présence de condensation et de glace dans les murs ainsi qu’une isolation quasi inexistante. « Les études thermographiques ont montré que les murs étaient de vraies passoires », souligne le gestionnaire. Il faut donc agir, et vite, car la corrosion attaque les ancrages de métal qui retiennent les panneaux de béton. Mais comment ?

 

Oeuvre magistrale

Comme le mentionne Albani Boudreau, la solution la plus simple aurait été de refaire l’isolation. Mais cette option n’était pas envisageable car, de l’autre côté des panneaux de béton, se trouve la murale monumentale de Jordi Bonet. Constituée de béton appliqué sur crépi, l’oeuvre couvre environ 1 000 mètres carrés et se déploie.

 

« Si les panneaux extérieurs avaient été plus petits, on aurait pu les remplacer, note-t-il. Il aurait suffi de couper les ancrages et de les retirer. Mais ils font neuf pieds sur 30 pieds, et sont montés sur une structure d’acier qui retient aussi la murale. Les vibrations générées pour les défaire auraient endommagé l’oeuvre. »

 

La solution retenue comporte deux volets. D’abord l’application d’un scellant sur les colonnes qui évacue l’humidité, mais empêche la pénétration de l’eau. Ensuite la mise en oeuvre d’une peau de verre structural au périmètre de l’édifice, dont l’aire au sol est d’environ 40 000 pieds carrés. Cette enveloppe de verre doit être le moins visible possible. Pour ce faire, les concepteurs de Lemay proposent un verre ultra clair monté sur une structure d’acier standard.

 

Répétition générale

Sur la première façade, sa mise en oeuvre a demandé près de trois mois. « Il fallait trouver la bonne recette, rapporte Albani Boudreau. Il y a un espace de 30 millimètres entre chaque panneau, mais la tolérance n’est que de trois millimètres. »

 

L’ossature d’acier est déposée sur le toit de l’immeuble afin de reprendre les charges des panneaux de verre qui pèsent environ une demi-tonne chacun. Comme il est impossible de creuser de nouvelles fondations, la structure sera arrimée aux colonnes existantes afin de descendre les charges sur les fondations, à la base desquelles des supports horizontaux en porte-à-faux sont également ajoutés.

 

Mais le poids des panneaux de verre – on en compte 1 100 au total – déforme la structure d’acier. Elle est donc lestée de sacs de sable, qui sont retirés à mesure que les panneaux sont mis en place. Si cette solution est simple à appliquer en façade, elle est plus difficile à mettre en oeuvre dans les coins où, lorsqu’on ajoute du poids, on influence l’autre coin. « Trouver la bonne recette, ç’a pris près de six mois. Mais ici, la priorité, ce n’est pas l’échéancier, mais la qualité, poursuit-il. Le chantier s’est amorcé en avril 2017 et devait se terminer en février 2018. Et on travaille présentement sur le quatrième coin ! »

 

À terme, environ 80 calorifères seront installés au pourtour de l’édifice, à l’intérieur de la peau de verre. La température y sera maintenue entre trois et quatre degrés Celsius, ce qui suffira à mettre fin au cycle de gel et de dégel et à stopper la corrosion.

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Bâtiment 2019. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !