1 août 2023
Par Aurélie Beaupré

La coordination défaillante entre les chantiers est préoccupante, tout comme la baisse de productivité générale dans l'industrie de la voirie et du génie par rapport au reste de l'économie. Des améliorations sont nécessaires pour optimiser les projets et une meilleure gestion est essentielle pour relever ces défis.

Les chantiers au centre-ville de Montréal continuent de susciter des commentaires négatifs avec des entraves à la circulation, des cônes orange oubliés depuis des années et une pollution sonore et visuelle persistante. Selon une étude de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) publiée en début d’année, 94 % des rues de l’hypercentre ont été partiellement ou totalement entravées entre avril 2021 et mars 2022. « Ces chiffres viennent confirmer la perception généralisée selon laquelle il y a des chantiers partout au centre-ville », remarque Michel Leblanc, président de la CCMM.

 

Et, en plus de l’omniprésence des chantiers, cette même étude nous permet de constater qu’il y en a tout le temps : « On a effectivement observé que pendant neuf ans, sur Saint-Urbain, il y a eu des travaux à un endroit ou à un autre sur différentes hauteurs de cet axe important », poursuit-il.

 

Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Crédit : Gracieuseté

 

Deux principaux motifs expliqueraient le nombre, la durée des chantiers et la gravité des inconvénients générés par ces derniers : le vieillissement des infrastructures et le fait que ce centre-ville soit habité. N’en demeure, ces constats mettent en évidence la nécessité de trouver des solutions novatrices afin d’améliorer les conditions actuelles. Face à ces défis complexes, le Sommet sur les chantiers, qui s'est tenu à Montréal en mars 2023, a émergé comme une réponse à cette situation. Cette initiative a réuni des acteurs clés du domaine, des experts et des décideurs afin de favoriser un dialogue constructif et d’explorer des pistes de solution.

 

Deux importants constats

L’un des problèmes majeurs cernés est la coordination défaillante entre les chantiers : « On s’est aperçus que peu de chantiers, soit environ 6 %, étaient déclarés sur la plateforme créée par la Ville servant à leur coordination. Ça nous laisse donc avec aucune possibilité de coordonner les activités en voirie », souligne Michel Leblanc. En plus d’un manque de coordination, la présence parfois injustifiée de cônes orange n’a rien pour améliorer la situation. En effet, toujours selon l’étude de la CCMM, environ 27 % des cônes orange dans une zone donnée étaient présents sans raison apparente, entraînant des entraves et une pollution visuelle inutiles.

 

Un autre constat alarmant concerne la baisse de productivité générale de l’industrie de la voirie et du secteur du génie par rapport au reste de l’économie. Ainsi, les entreprises du domaine ne parviennent pas à suivre le rythme de croissance de l’économie en termes de productivité. « On remarque que les entreprises n’ont pas toujours les moyens, en raison de leur taille ou du fait qu’elles soient soumises à des appels d’offres qui imposent le plus bas soumissionnaire, de dégager des marges de profit afin d’investir dans leur croissance et leur productivité », s’inquiète le président de la CCMM.

 

Des solutions avancées

Face à ces constats préoccupants, des solutions sont proposées. La Ville de Montréal a déjà mis en place des mesures telles que la Charte montréalaise des chantiers et l’escouade mobilité, mais il est nécessaire que tous les partenaires s’engagent et trouvent de nouvelles solutions: « On a donc pris le leadership, dans le cadre du Sommet sur les chantiers, de rassembler tout le monde à une même table parce que nous avions des propositions de solutions. Mais on ne voulait pas les imposer sans d’abord en discuter avec les acteurs qui seraient impliqués », explique Émilie Thuillier, mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville.

 

Émilie Thuillier, mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville. Crédit : Gracieuseté

 

Et la solution ne passe pas uniquement par l’installation et le retrait des cônes orange 24 heures avant et après les travaux. La coordination des chantiers s’est posée comme une priorité afin d’améliorer la situation au centre-ville de la métropole. Afin de faciliter cette coordination, l’inscription des chantiers sur la plateforme AGIR est mise de l’avant : « La coordination des chantiers passe nécessairement par leur inscription sur la plateforme AGIR, afin d’avoir des permis d’occupation du territoire », souligne Michel Leblanc. Il n’en demeure que le respect des permis demandés, soit de leur durée et du secteur occupé par les travaux, est essentiel pour que cette solution s’avère efficace. À cet effet, la propreté des chantiers sera fortement encouragée : « On demande aux gens de garder leur chantier le plus propre possible et de ramasser non seulement les cônes, mais aussi les matériaux utilisés. Les clôtures doivent aussi être bien mises et l’habillage de chantier est toujours encouragé afin de réduire la pollution visuelle engendrée par les travaux », ajoute Émilie Thuillier.

 

« On ne doit pas juste améliorer la coordination ou retirer les cônes orange qui traînent, il faut aussi, à terme, avoir une industrie qui soit plus efficace », ajoute Michel Leblanc. À cet effet, ce dernier propose d’envisager la création d’un chantier visant à améliorer l’efficacité du secteur de la construction et du génie. Selon lui, le système actuel, basé sur l’attribution au plus bas soumissionnaire, conduit à des rendements trop faibles pour attirer les entreprises innovantes du domaine de la construction. Cela entraverait, de ce fait, le progrès de l’industrie. « Notre industrie va avoir besoin de champions dans les prochaines années. S’ils se préparent, ils en ressortiront gagnants. Sinon, ils risquent de se faire dépasser rapidement », insiste-t-il. Pour ce faire, ce dernier propose de s’inspirer de la Belgique, où le secteur du génie et de la voirie a connu une hausse de productivité marquée au cours des dernières années. Une autre mesure, d’une portée plus générale et portant des couleurs d’acceptation sociale cette-fois-ci, consiste pour sa part à expliquer clairement qui réalise les travaux, pour le compte de quel organisme et dans quel but. Cette transparence permet aux résidents de comprendre les avantages et les objectifs des travaux entrepris, facilitant ainsi la tolérance des nuisances occasionnées pendant leur réalisation.

 

Savoir inspirer

En outre, les appels d’offres de la Ville pour l’année 2024 intégreront bon nombre des recommandations émises par les comités de suivi, témoignant ainsi de l’engagement à prendre en compte les retours d’expérience pour améliorer les futures interventions. Cette démarche révèle la volonté d’établir des normes de qualité élevées et de favoriser une meilleure coordination des chantiers, garantissant de cette façon des résultats satisfaisants pour l’ensemble de la population.

 

« Je pense que ce qu’on fait à Montréal va servir aux autres municipalités. Des experts nous ont dit que la métropole est le fer de lance de plusieurs dossiers. Montréal est plus vieille que beaucoup d’autres villes en termes d’infrastructures. Les enjeux qu’on vit maintenant seront rencontrés par d’autres villes du Québec », souligne la mairesse de l’arrondissement.

 

Ainsi, les démarches menées par la Ville de Montréal risquent d’inspirer plus d’une Ville et d’une Municipalité chez qui, pour elles aussi, les infrastructures continuent à vieillir et où les travaux se font attendre.

 

UN MODÈLE À SUIVRE

La Belgique se démarque avec une augmentation de productivité entre 2000 et 2015 s’élevant à 32 % dans le domaine de la construction. Voici quels seraient les principaux facteurs de réussite :

  • Incitatifs à l’adoption des technologies
  • Cadre réglementaire relativement non restrictif
  • Institution publique qui promeut l’innovation
  • technologique
  • Investissement dans des processus plus efficaces
  • en raison du coût élevé de la main-d’oeuvre
  • Maximisation de la mécanisation
  • Recours fréquent à la préfabrication des matériaux,
  • notamment le béton
  • Systèmes de certification volontaire instaurés par
  • des entreprises privées qui visent la durabilité et la
  • qualité des ouvrages