Prévisions de la CCQ : une industrie robuste malgré un léger repli

3 avril 2024
Par Isabelle Pronovost

Même si l’économie ne tourne plus à plein régime, l’impact du ralentissement sur l’industrie de la construction devrait être limité. Tour d’horizon des prévisions de la Commission de la construction du Québec pour 2024.

Il est largement question ces jours-ci du ralentissement des mises en chantier dans le secteur résidentiel. Il faut dire que les années 2021 et 2022 ont été fastes. La Commission de la construction du Québec (CCQ) estimait en décembre que l’année 2023 devait se conclure avec une baisse de 14 % des heures travaillées (36,5 millions versus 42,3 millions en 2022) en raison de la hausse des taux d’intérêt et des coûts de construction. L’organisme entrevoit aussi une diminution pour 2024, la fixant à 32 millions d’heures travaillées. Ces mêmes facteurs auront également un impact sur le secteur commercial, qui devrait connaître un ralentissement, malgré la présence de certains chantiers d’envergure tels que le Royalmount à Montréal ou le quartier Fleur de Lys à Québec.

 

Ces perspectives moins favorables dans les domaines résidentiel et commercial – qui se feront essentiellement sentir dans les deux plus grandes villes de la province – masquent toutefois des gains dans d’autres secteurs. « Malgré la morosité ambiante, avec un ralentissement économique attendu, l’industrie de la construction s’en tire encore très bien en 2024. […] On est encore à un très haut niveau », résume Mélanie Ferland, économiste et chef de section Recherche à la CCQ. Cette affirmation repose sur les projections pour l’année à venir : même si un léger repli de 3 % est prévu pour l’ensemble de l’industrie, les ouvriers devraient demeurer fort occupés avec un total de 202 millions d’heures travaillées.

 

Un secteur industriel en plein essor

C’est dans le secteur industriel que la croissance s’annonce la plus importante en 2024. On estime effectivement qu’il atteindra 15 millions d’heures travaillées, une hausse de 25 % par rapport à 2023. Selon Mélanie Ferland, les projets à surveiller se trouvent justement dans cette branche. « C’est le projet de Northvolt qu’on va suivre. Tout ce qui entoure la filière batterie. Il y a des projets qui sont déjà démarrés, et on a hâte de voir si autre chose pourrait apparaître », confie-t-elle.

 

Mélanie Ferland, économiste et chef de section Recherche à la CCQ. Crédit : CCQ

 

Parmi les projets qui pourraient se concrétiser, l’économiste mentionne la construction d’usines de transformation de graphite à Bécancour par Nouveau Monde Graphite et à Baie-Comeau par Northern Graphite (toutes deux envisagées en 2025), ainsi que la possibilité d’une implantation d’une troisième filière de batteries électriques au Saguenay– Lac-Saint-Jean.

 

Les projets liés à l’électrification des transports – dont ceux de GM (Ultium-CAM) et de Ford (EcoPro CAM) à Bécancour – contribueront à faire augmenter le volume d’ouvrage dans plusieurs régions de la province. Ajoutons à cette forte activité régionale la fin des travaux de la nouvelle usine de pâte et papier de Kruger à Bromptonville, l’avancement de la construction de l’usine de Duravit à Matane dans le Bas-Saint-Laurent et les investissements effectués par Rio Tinto dans son aluminerie à faible émission de carbone AP60 au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

 

Forte activité du côté des transports et des hôpitaux

Le secteur du génie civil et de la voirie devrait poursuivre sa lancée, enregistrant depuis 2016 une croissance continue (à l’exception de 2020). Après avoir estimé un record de 40 millions d’heures travaillées pour 2023, la CCQ en projette 41 millions pour 2024, notamment grâce aux travaux de routes et d’infrastructures. Plusieurs auront lieu dans la région métropolitaine : prolongement de la ligne bleue du métro, réfection du ponttunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine et des tunnels Ville-Marie et Viger, sans oublier l’ajout des prochains tronçons du Réseau express métropolitain (REM).

 

Si les domaines institutionnel et commercial dans leur ensemble seront moins vigoureux en 2024, le recul attendu des heures travaillées sera limité par un sommet en matière d’investissements publics, surtout dans les établissements de santé, juge la CCQ. L’organisme répertorie des travaux pour plusieurs hôpitaux, dont celui de Vaudreuil-Soulanges, de l’Enfant-Jésus à Québec et de Pierre-Le Gardeur à Terrebonne. En outre, la construction de certaines maisons des aînés devrait se poursuivre.

 

Une main-d’oeuvre qui continuera de se faire rare

Des entreprises pourraient peut-être bénéficier de la main-d’oeuvre libérée dans les secteurs moins en demande, notamment celui de la construction résidentielle, car il n’est pas rare que les personnes oeuvrant dans ce domaine puissent également effectuer des travaux institutionnels ou commerciaux. Mais la mobilité des travailleurs ne se fait pas aussi aisément partout. « Ce n’est pas parfaitement poreux. Entre le génie civil et l’industriel, ce n’est pas si commun. Et entre l’industriel et le résidentiel, ce n’est pas commun non plus », précise Mélanie Ferland.

 

Dès lors, les difficultés de recrutement devraient se maintenir, un autre enjeu que suit de près la CCQ. Pour avoir un portrait clair de la situation, l’organisme sonde les employeurs deux fois par année afin de connaître leur expérience en la matière. À l’automne 2023, 58 % d’entre eux disaient avoir eu de la difficulté à recruter, un chiffre en baisse (72 % à l’automne 2021) mais qui demeure tout de même élevé. « Il y a certains entrepreneurs qui disent que ça devient un peu plus gérable », rapporte l’économiste. Pour certains, l’année 2024 pourrait donc être celle où ils peuvent enfin reprendre un peu leur souffle.