Pénurie de main-d’oeuvre : toujours aussi importante sur les chantiers?

15 décembre 2023
Par Mathieu Ste-Marie

Plus de deux ans après l’entrée en vigueur de mesures visant à contrer la pénurie de main-d’oeuvre, la Commission de la construction du Québec (CCQ) observe des impacts positifs sur les chantiers. Toutefois, il faudra attendre encore quelques années avant de voir pleinement les effets de cette initiative.

Ces mesures ont été pensées il y a plusieurs années alors que l’industrie de la construction connaissait déjà d’importantes difficultés de recrutement. Après avoir étudié ce phénomène en 2018, la CCQ a entrepris des consultations ciblées auprès des intervenants de l’industrie. Durant ces rencontres, la possibilité d’adopter des modifications règlementaires contribuant à attirer la main-d’oeuvre et à la maintenir en emploi a été abordée.

 

Pas de miracle

Cette initiative de la CCQ a été saluée par différents acteurs de l’industrie de la construction, dont l’Association de la construction du Québec (ACQ). Lors de l’annonce de ces mesures, en 2021, l’ACQ soulignait que « l’amélioration de la règlementation quant à l’accès à l’industrie, à la diplomation décroissante, au manque alarmant de compagnons ainsi qu’à la polyvalence et à l’efficience sur les chantiers de construction est devenue incontournable ». Près de trois ans plus tard, il y a encore un manque de travailleurs, mais la situation est beaucoup moins alarmante qu’avant.

 

Marie-Noëlle Deblois, conseillère Affaires publiques à la CCQ. Crédit : CCQ

 

« Ces mesures ne provoqueront pas de miracle pour mettre fin à la pénurie de main-d’oeuvre. Toutefois, c’est la première fois depuis fort longtemps que la CCQ adopte des règlements qui ouvrent la porte à plus de flexibilité sur les chantiers », observe Marie-Noëlle Deblois, conseillère Affaires publiques à la CCQ.

 

Un impact concret

Il n’y aura pas de miracles, mais quelques mesures ont été particulièrement efficaces jusqu’à maintenant, dont une a déjà eu un impact concret sur le terrain. La seconde mesure mentionnée dans la liste [voir l’encadré] a permis à 2 892 étudiants de travailler sur les chantiers à l’été 2022, une première au Québec. De ce nombre, 1 164 électriciens, 850 charpentiers-menuisiers et 412 tuyauteurs ont pu accéder aux chantiers. « Parmi eux, 85 % sont maintenant des apprentis. C’est donc dire que cette mesure favorise réellement la rétention », explique Marie-Noëlle Deblois.

 

De plus, l’accélération du statut de compagnon pour les apprentis qui permet l’examen avec 85 % de l’apprentissage effectué a également connu un certain succès. En effet, près de 50 % des apprentis ont profité de cette mesure. Les effets attendus sont essentiellement des apprentis qui accèderont plus rapidement au statut de compagnon et qui permettront à leur tour l’embauche de nouveaux apprentis.

 

Il faudra néanmoins attendre encore quelques années avant d’évaluer pleinement l’impact des autres mesures. Si les effets sont encore attendus, une chose est certaine pour l’instant : ces mesures ne seront pas modifiées et aucune autre ne sera ajoutée.

 

Une pénurie moins importante

Aujourd’hui, la pénurie de main-d’oeuvre n’est plus aussi criante que lorsque les mesures de la CCQ ont été mises en place. Selon son sondage bisannuel réalisé auprès de 1 216 employeurs, les difficultés de recrutement dans l’industrie de la construction se sont atténuées ces derniers mois, au point de ne plus être l’obstacle le plus important rencontré par les employeurs.

 

En fait, l’intention d’embauche des patrons a rétréci significativement depuis le printemps 2022, passant de 36 % à 26 %. Même que 16 % des employeurs affirment qu’ils pourraient diminuer leurs embauches l’an prochain. Ce taux était de 12 % l’an dernier. Autre statistique révélatrice : 60 % des répondants ont affirmé avoir vécu des difficultés de recrutement en 2022 contre 67 % l’automne dernier.

 

Ces données s’expliquent, en grande partie, par l’activité économique en baisse depuis un an, notamment dans le secteur résidentiel. Ajoutons à cela que la mise en place de nouvelles mesures de la CCQ ainsi que l’embauche massive des jeunes travailleurs fraîchement sortis de l’école ou lors des ouvertures de bassins de main-d’oeuvre ont permis de pourvoir plusieurs postes vacants. « En 2014, les employeurs embauchaient 9 000 nouveaux travailleurs par année. En 2022, ce sont 20 000 nouveaux travailleurs qui ont fait leur début dans l’industrie grâce aux différentes portes d’entrée », illustre Marie-Noëlle Deblois.

 

En plus d’embaucher et de former des travailleurs moins expérimentés, plusieurs employeurs ont bonifié certains des avantages offerts en proposant notamment plus de flexibilité dans l’horaire de travail pour attirer les nouveaux employés.

 

Employeurs cherchent travailleurs compétents

Ces entrées massives dans cette industrie ont toutefois entraîné un nouveau problème : la diminution de la qualité de la maind’oeuvre, selon plusieurs répondants au sondage. En effet, 53 % des employeurs estiment que l’embauche de travailleurs de qualité est un obstacle au bon fonctionnement de leur entreprise.

 

« Plusieurs travailleurs ont été embauchés avec peu ou pas d’expérience. Les employeurs ont un besoin d’employés formés et expérimentés », souligne la conseillère Affaires publiques de la CCQ. Au cours des prochaines années, les employeurs devront donc assurément jongler avec la hausse de leurs effectifs et la formation qu’ils doivent donner aux apprentis.

 

Favoriser l’intégration des autochtones

Il y a quelques années, la CCQ s’est dotée d’un plan d’action pour l’intégration des Autochtones dans l’industrie de la construction, qui sont sous-représentés sur les chantiers. « Nous demandons à l’industrie d’agir pour faciliter leur intégration. De notre côté, nous mettons en place des initiatives qui ont pour objectif de faciliter l’entrée de ces travailleurs dans l’industrie », explique Marie-Noëlle Deblois.

 

Parmi ces initiatives, notons la réalisation de projets pilotes favorisant la diplomation et la reconnaissance de la main-d’oeuvre diplômée ou expérimentée ainsi que la tenue de séances d’information sur l’industrie de la construction.

 

Selon les données de la CCQ, l’industrie de la construction comptait en 2022 près de 1 500 travailleurs issus des Premières Nations ou Inuits, soit 0,76 % de l’ensemble des travailleurs de l’industrie. L’objectif de l’organisation est d’atteindre 1 % de l’ensemble de la main-d’oeuvre.

 

HUIT MESURES, UN OBJECTIF
  1. Reconnaître l’expérience pertinente acquise pour intégrer l’industrie de la construction ;
  2. Permettre le travail en chantier pendant les études ;
  3. Accélérer l’accès au statut de compagnon pour les personnes diplômées ;
  4. Favoriser la relève entrepreneuriale en permettant à chaque employeur d’obtenir deux exemptions de certificat de compétence pour enfant d’employeur, au lieu d’une seule ;
  5. Permettre l’embauche d’un plus grand nombre d’apprentis ;
  6. Accélérer l’obtention du statut de compagnon pour tous les apprentis ;
  7. Faciliter l’entrée des personnes diplômées dans certaines occupations spécialisées (préposé aux instruments d’arpentage, boutefeu-foreur et scaphandrier) en permettant la délivrance d’un certificat de compétence occupation ;
  8. Générer plus de polyvalence en chantier.