La révolution des bétons fibrés ultraperformants

11 juillet 2016
Par Marie Gagnon

Grâce à l’intégration de fibres métalliques, le béton atteint des limites jusqu’ici inégalées. Portrait d’un matériau hors normes.

Connu depuis la Rome antique, le béton n’a cessé d’évoluer au fil du temps. Né d’un mélange grossier composé d’eau, de ciment et d’agrégats, il s’est sophistiqué à mesure que progressaient les connaissances. Des particules toujours plus fines et des plastifiants toujours plus puissants lui ont été ajoutés pour réduire sa porosité et sa teneur en eau et, de là, augmenter sa durabilité et ses performances mécaniques. Encore plus récemment, l’ajout de fibres, surtout métalliques, est venu propulser ces qualités à un nouveau sommet.

 

« Les bétons fibrés à ultra-hautes performances, ou BFUP, ne datent pas d’hier, signale d’entrée de jeu Bruno Massicotte, professeur titulaire au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique. Ils ont été mis au point en Europe, il y a une trentaine d’années. Ici, à Poly, notre objectif est de les adapter aux matériaux locaux et de définir leurs applications, entre autres par des méthodes de calculs qui permettront aux ingénieurs de les utiliser. Parce qu’il y a plus de différences entre un BFUP et un béton ordinaire qu’entre l’acier et l’aluminium, par exemple. »

 

Il précise du même souffle que des fibres métalliques ou synthétiques peuvent être employées pour formuler un BFUP, mais que les fibres synthétiques sont plutôt confinées à des applications architecturales, en raison notamment de leur résistance moindre au feu. Selon lui, elles conviennent davantage au mobilier urbain, où les charges sont peu élevées, et aux panneaux architecturaux, lorsqu’une meilleure résistance au vent est recherchée. Elles peuvent néanmoins composer un excellent béton projeté pour renforcer, entre autres, voûtes et parois rocheuses.

 

Des performances inégalées

« Je travaille surtout sur les ponts et les ouvrages d’art et ce que je cherche, c’est une grande durabilité, mentionne Bruno Massicotte. Avec des fibres d’acier, on peut faire des structures qui vont se passer de réparations pendant 75 à 100 ans, plutôt que 30 ou 40 ans, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est presque un cycle de réparation de gagné sur une durée de vie utile de 125 ans. Si le pont Champlain avait été fabriqué dès le départ avec ce matériau, il serait encore comme neuf aujourd’hui. »

 

Comme les armatures traditionnelles, les fibres ont en effet pour fonction de maîtriser la fissuration. Sauf qu’elles sont mélangées avec les autres constituants du béton pour former un matériau dont les propriétés, en compression et en traction, sont décuplées par rapport à un béton conventionnel, explique pour sa part Jean-Philippe Charron, également professeur titulaire et directeur du Groupe de recherche en génie des structures de Polytechnique.

 

« Lorsqu’on soumet un béton ordinaire à un effort de traction de 2 à 3 MPa, des macrofissures vont se créer et le béton va perdre presque instantanément sa capacité de reprendre des efforts, dit-il. Avec un béton fibré standard, soumis au même effort de traction, des macrofissures vont aussi apparaître, mais elles vont se propager moins vite et la chute de résistance sera beaucoup moins importante.

 

« Par contre, avec le BFUP, on observe en plus un comportement écrouissant qui autorise une grande capacité de déformation, sans impact significatif sur la durabilité du matériau, fait-il valoir. C’est-à-dire que lorsque la résistance de la matrice est atteinte, des microfissures vont apparaître et il n’y aura pas de chute de résistance. Au contraire, la résistance du BFUP va continuer à augmenter jusqu’à 8 à 12 MPa, selon le dosage en fibres. »

 

Le bon dosage

Cette performance tient d’abord à la composition du mélange, souligne Jean-Philippe Charron. Comparativement aux bétons fibrés standards (BF), qui incorporent entre 8 et 80 kilogrammes (kg) de fibres par mètre cube de béton, les BFUP en contiennent de 160 à 320 kg par mètre cube de béton « Mais on ne se contente pas d’ajouter plus de fibres métalliques que dans un béton fibré standard, on change la composition même du mélange, indique-t-il. On retire les granulats et on les remplace par du sable d’une granulométrie inférieure à 1 millimètre.

 

« Le pourcentage eau-liant est aussi fortement abaissé, autour de 0,25 sinon moins, ajoute le chercheur. Dans le BF, ce rapport varie entre 0,30 et 0,45. Les fibres métalliques sont aussi plus courtes, de l’ordre de 10 à 20 millimètres contre 30 à 60 millimètres pour le BF. En optimisant le squelette granulaire de la sorte, on obtient une résistance en compression qui va de 120 à 160 MPa. Avec le BF, on atteint de 30 à 50 MPa en compression. Au bout du compte, le BF et particulièrement les BFUP permettent de réduire les volumes de béton et les quantités d’armatures dans les éléments d’ouvrage. »

 

Comme ils restent des matériaux coûteux, Jean-Philippe Charron suggère d’en réserver l’usage aux applications nécessitant une performance et une durabilité supérieures. Comme les dalles et les parapets de pont, des éléments particulièrement vulnérables à la dégradation. Un point de vue que partage son confrère Bruno Massicotte, qui planche actuellement sur le renforcement sismique de piles au moyen de BFUP, un projet qui devrait entrer en phase d’essai l’an prochain au pont Champlain.

 

« Ils conviennent bien aussi aux réparations mineures et à la préfabrication d’éléments structuraux, note-t-il. Sauf que leur usage est restreint présentement, mais la situation devrait évoluer avec la mise à jour prochaine des normes CSA A23.1, Béton : constituants et exécution des travaux et CSA S-6, Code canadien sur le calcul des ponts routiers. Les critères de fabrication et les règles de calcul de ces matériaux seront inclus dans leur prochaine version. »

 

Bruno Massicotte s’attend à ce que leur usage se démocratise rapidement par la suite. Selon lui, on devrait retrouver sur le marché quatre ou cinq BFUP d’ici cinq ans. Il n’y a que deux fabricants qui en proposent présentement. De son côté, Jean-Philippe Charron poursuivra ses recherches afin de rendre le matériau plus accessible, notamment en remplaçant une partie du ciment par de nouveaux ajouts cimentaires, ce qui aura en outre pour effet d’en améliorer le bilan environnemental.

 

QUATRE AVANTAGES

 

  1. Durée de vie utile pouvant atteindre 125 ans
  2. Cycles de réparation prolongés jusqu’à 75 ans
  3. Patrons de fissuration microscopique
  4. Indices de durabilité très faibles (perméabilité, diffusion et absorption)

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2016. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !