Résidences pour retraités – Demain, c’est loin ?

6 février 2012
Par Étienne Soucy

Vieillissement : Développement résidentiel (2/3)

 

Que l’on parle de perte de mobilité ou de hausse des cas d’isolement, la réalité quotidienne des personnes âgées est bien différente de celle des adultes dans la force de l’âge. Le phénomène du vieillissement de la population québécoise nous porte donc à croire qu’au cours des prochaines années, les besoins de plusieurs centaines de milliers de Québécois changeront. Pour l’industrie de la construction, il est permis de se questionner. Les constructions résidentielles spécialisées pour les aînés sont-elles adéquates en ce moment ? Pourront-elles combler la demande d’une clientèle en croissance ? Pour se frayer un chemin à travers ces interrogations, Constructo s’est entretenu avec Ernesto Morales, Ph.D., chercheur à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

 

M. Morales, qui est architecte, poursuivait jusqu'à récemment une recherche postdoctorale en design gériatrique. Ses études visaient à repenser les espaces dans les institutions de retraite pour améliorer la qualité de vie des usagers et des préposés et créer et mettre en pratique des solutions de design pour prolonger l’autonomie des personnes âgées et handicapées habitant dans leur propre maison.

 

Quand on l’interroge d’emblée sur l’ergonomie globale des résidences pour retraités, son regard s’illumine, et lorsqu’on lui demande si des changements sont à apporter dans les résidences de retraités, sa réponse est claire : « Oui. La plupart des résidences pour personnes autonomes ou semi-autonomes au Québec – et ailleurs dans le monde, sont ni plus ni moins que des bâtiments conçus pour des adultes d’âge moyen. On construit des appartements ordinaires avec une chambre, une salle de bain et parfois une cuisinette. Ils ne sont donc pas adaptés du tout aux besoins spécifiques des personnes âgées. »

 

Pour le chercheur, il s’agit d’un véritable problème qu’il faudra régler. « Dans cette industrie, l’accent est surtout mis sur le service qu’on donne, et non sur la qualité du bâtiment qu’on fournit. C’est là où il faudrait faire des changements, c’est-à-dire concevoir des appartements adaptables selon les besoins de la personne qui y vit. »

 

Comme nos besoins évoluent de plus en plus vite à mesure qu’on vieillit, l’idée d’un appartement modifiable est le cheval de bataille de M. Morales. « Quand une personne âgée entre dans un établissement, il faut prévoir un déclin de son état. Même si une personne entre en parfaite forme en résidence, il est certain que la situation ne durera pas éternellement, malheureusement. »

 

Petits changements, grande efficacité

Pour le spécialiste, les changements à apporter sont souvent des petits détails qui feront une énorme différence : « Il est inconcevable que des baignoires soient installées dans des résidences pour personnes âgées. Personne ne s’en sert, c’est trop difficile d’accès ! Installons des douches avec un plancher plat. Ça facilitera la tâche à tout le monde, autant à l’usager qu’au personnel de soutien. »

 

Parmi les autres changements à apporter, le chercheur rapporte la modification des largeurs de murs et de cadres de portes afin de prévoir le passage de chaises roulantes, même dans les chambres à coucher : « Il faut prévoir un espace pour circuler librement en marchette ou en chaise roulante autour du lit et avoir un accès à la garde-robe. C’est la qualité de vie qui est en jeu. »

 

Il y a aussi l’éclairage avec gradateur, pour aider les personnes avec un problème visuel. Puis, il y a évidemment les barres d’appui dans la salle de bain et aux autres endroits stratégiques dans l’appartement. Il faudrait aussi améliorer les systèmes de ventilation qui selon lui, « ramènent trop l’air de l’intérieur et provoquent souvent des maladies respiratoires ». La liste des petits détails est longue, et c’est la santé des gens qui est en jeu, nous a dit l’architecte.

 

Le prix de l’ergonomie

Si les gestionnaires d’établissement pour personnes âgées sont parfois réticents à effectuer ces changements, c’est, selon M. Morales, surtout une question d’argent : « J’’ai déjà été engagé comme consultant privé pour évaluer l’ergonomie d’une nouvelle construction pour aînés. Lorsque je prenais en charge le projet, je leur faisais part de tous les changements profitables pour les locataires, mais on me répondait souvent que la construction était déjà en marche et que ça coûterait trop cher de construire autrement. »

 

Pourtant, de dire le chercheur, les établissements finissent souvent par payer plus cher en réaménageant les espaces lorsqu’ils n’ont plus le choix plutôt que de le faire dès la construction. Et c’est sans parler des préposés aux bénéficiaires qui, selon lui, pourraient voir leur charge de travail allégée par un aménagement différent : « Si on peut aider nos préposés en concevant des installations qui allègent leurs tâches, tout le monde en bénéficiera. » 

 

À la lueur de cet entretien avec M. Morales, on constate que les résidences pour personnes retraitées devront tôt ou tard s’adapter à une clientèle grandissante aux besoins précis et différents. Sauf que pour développer de tels projets, il semble que les gestionnaires des résidences devront avoir l’esprit ouvert. Pour Ernesto Morales, c’est le premier pas à faire : « J’ai cogné à plus d’une quarantaine de portes d’entreprises qui gèrent des résidences pour personnes âgées pour leur demander une collaboration afin de faire avancer mes recherches. Sur 40, une seule a daigné me répondre. » Le pas à faire sera donc géant.

 


Ce sujet pique votre curiosité ? Lisez tous les articles du dossier VIEILLISSEMENT :

 

Un Québec grisonnant (Portrait de la situation 1/1)

 

Portrait d’une industrie en transformation (Industrie de la construction 1/2)

L’industrie de la construction en action face au vieillissement (Industrie de la construction 2/2)

 

Former nos villes pour l’avenir (Urbanisme 1/1)

 

Une communauté en mouvance (Développement résidentiel 1/3)

Résidences pour retraités – Demain, c’est loin ? (Développement résidentiel 2/3)

Habitations mixtes – Une sagesse à partager (Développement résidentiel 3/3)