Les gares-hôtels : des monuments qui traversent le temps

21 mars 2016
Marc-André Pilon

L’histoire du Canada est intrinsèquement liée à celle du chemin de fer. Les compagnies ferroviaires y ont façonné le paysage naturel, économique et politique. La gare devient rapidement le centre civique et le lien avec le reste du monde pour plusieurs ; et elle subit plusieurs transformations au fil du temps.

Vers la fin du XIXe siècle, les compagnies ferroviaires sont parmi les plus puissantes et les plus prospères de ce nouveau pays qu'est le Canada. Aidées financièrement par le gouvernement canadien qui subventionne à près de 50 % la construction des réseaux, les principales compagnies de l'époque sont le Grand Tronc, le Canadien Pacifique (CP) et le Canadian Government Railways, qui deviendra le Canadien National (CN) en 1919.

 

 Bruce Price, architecte responsable de nombreux monuments de chemin de fer. Credit - Wikipedia

 

Ces compagnies bénéficient d'un financement et d'un pouvoir décisionnel énorme. En plus d'être à la tête du développement du réseau ferroviaire, elles verront au développement de millions d'acres de terrain. Les compagnies ferroviaires érigent des bâtiments monumentaux comme la gare Viger et la gare Windsor à Montréal ou le Château Frontenac à Québec, témoins de l'ampleur et du prestige qu'elles souhaitaient refléter.

 

Le Château Frontenac


La construction du Château Frontenac débute en 1892. Œuvre de l'architecte Bruce Price, le bâtiment innovait de par son plan asymétrique qui permettait l'ajout d'ailes supplémentaires et sa structure massive à charpente d'acier, une technologie assez nouvelle pour l'époque. L'hôtel est agrandi à plusieurs reprises soit en 1908, en 1919 et en 1920.

 

Construction du Château Frontenac :  
     Dates importantes et anecdotes
  • Début de travaux : 15 juin 1892
  • Ouverture officielle : 18 décembre 1893
  • Ravagé par un incendie en 1926
  • 2 000 000 de briques utilisées.

 

Détails architecturaux patrimoniaux :  
  • Sa situation proéminente et sa présence imposante sur la falaise surplombant le Saint-Laurent;
  • Ses pignons et lucarnes ornés;
  • Ses hautes cheminées;
  • Sa rangée de faux-mâchicoulis au-dessus des fenêtres du troisième étage.

 

 

 

La gare Windsor

 

 Carte postale de la gare Windsor au début du XXe siècle. Credit - BANQ

 

Price conçoit également la gare Windsor en 1888. Elle impressionne par la grande taille de ses pierres en calcaire de Montréal, donnant un aspect classique et solide, rustique même, à l’ensemble.

 

Le bâtiment original est en forme de U et sera agrandi en 1900 et de 1909 à 1914 avec l'ajout de la tour de 15 étages. La gare Windsor est également l’une des premières structures montréalaises qui s’inspire avant tout d’un courant architectural américain, empruntant autant aux styles en vogue qu’aux innovations techniques qui ont permis l’érection des premiers gratte-ciel à New York et à Chicago. Aujourd’hui, elle est la seule gare d’Amérique du Nord de cette époque qui est toujours intacte.

 

 

Construction de la Gare Windsor :  
     Dates importantes et anecdotes
  • Inauguration le 1er février 1889
  • Coût de construction : 300 000 $ (près de 7 000 000 $ aujourd'hui en dollars constants)
  • Reconnu en 1990 par la Loi sur la protection des gares ferroviaires patrimoniales

 

 

Détails architecturaux patrimoniaux :    
  • Pignons en saillie
  • Baies cintrées des loggias ouvertes le long de l'étage supérieur
  • Fenêtres profondes groupées verticalement
  • Les deux abris de type Bush
  • Les bandeaux et les extrados en pierre bouchardée ou à bossage rustique
  • Les couvertures en ardoise ou en cuivre.

 

La gare Viger

 

La gare Viger telle qu'elle se présentait vers la fin du 19e siècle. Credit - BANQ

 

Commencée en 1896, la gare Viger devient fonctionnelle en 1898. Le rez-de-chaussée occupe la fonction de gare et est consacré au service des voyageurs alors que les étages accueillent les chambres et le restaurant. L'architecture de style Château est influencée de la Vallée-de-la-Loire. Avec une structure en acier et de murs en maçonnerie et en pierre, le bâtiment était novateur dans l’utilisation de ces matériaux pour ce type d’architecture. L’intérieur était richement décoré, rehaussé par l’utilisation de matériaux nobles autant dans les sections publiques que privatives du bâtiment.

 

 

Pour construire la gare, la Ville doit exproprier 35 lots entre 1893 et 1895, menant à la destruction de dizaines de bâtiments et maisons. Ce type de développement urbain sera repris plus tard dans le même quartier lors de l'érection de la tour Radio-Canada.

 

Construction de la Gare Viger :  
     Dates importantes et anecdotes
  • Inauguration en août 1898
  • Ajout d'une gare adjacente en 1911
  • Le bâtiment est protégé en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel en 2012.

 

 

Détails architecturaux patrimoniaux :  
  • Nombreuses tourelles d'angle en poivrière
  • Toit à croupes prononcées et brisées avec ses éléments de cuivre
  • Pierre grise de Montréal et brique orange d'Écosse
  • Grande tour centrale  

 

Les défis de la modernité

 

Aujourd’hui, ces trois bâtiments ont une valeur patrimoniale inestimable. Si le Château Frontenac a su garder sa vocation originale, Fairmount, son nouveau propriétaire, a tout de même déboursé plus de 75 millions de dollars pour le rénover et le remettre à niveau. Cadillac-Fairview prévoit investir plus de 2 milliards pour la création du Quad de la gare Windsor, lui trouvant une nouvelle vocation en plus d'ériger un quartier complet sur les nombreux stationnements de surface et terrains vacants qu'on trouve aux abords.

 

Rénovation de la Gare Viger - Photo de Marc-André Pilon

 

Du côté de la gare Viger, les travaux de rénovation avancent rondement , mais leur ampleur n’est pas toujours visible. « Par exemple, tout ce qui touche la mécanique du bâtiment, l'aération et le chauffage doit être caché. On a dû excaver et installer les tours de refroidissement, creuser la dalle de béton, percer le toit du bâtiment Berri, y descendre les équipements mécaniques, installer des tuyaux dans des endroits extrêmement exigus, précise Domenic Zambon, directeur et gérant exécutif de construction chez Groupe Jesta, propriétaire de la gare, qui supervise les travaux. La condition des murs, des poutres et de la structure en général est assez incroyable malgré le fait que le bâtiment ait été abandonné depuis huit ans », ajoute-t-il.

 

Les résultats plaisent cependant aux locataires et aux visiteurs si l'on se fie aux échos entendus lors de la visite. « On a nettoyé en utilisant seulement de l’eau chaude à haute pression, sans produits chimiques. » Les planchers d'origine en terrazzo ont également été polis et restaurés à leur éclat d’antan, la brique antique est maintenant visible et les escaliers ont à peine été modifiés afin de répondre aux normes de sécurité. Et le tout semble concluant puisque les espaces rénovés sont déjà loués.