Une estacade en sapin pour contrer les inondations

22 juin 2017
Par Benoit Poirier

Les récentes crues printanières ont causé des dégâts considérables dans plusieurs régions du Québec. Si divers facteurs peuvent être pointés du doigt, une solution inusitée pourrait bien déjouer ce phénomène récurrent.

Les résidents de Saint-Raymond de Portneuf ont traversé le printemps 2017 les pieds bien au sec, et ce, en dépit du débordement fréquent de la rivière Saint- Anne au cours des dernières années. Une piste de solution pour contrer ce problème : le sapinage.

 

Le concept est toujours en développement par Brian Morse, professeur en génie à l’Université Laval, institution qui a été mandatée par la Ville de Saint-Raymond pour mettre fin à cette série d’épisodes malheureux. L’idée est d’aménager une estacade formée de branches de conifère attachées à un câble pour empêcher le frasil de s’enfoncer dans le cours d’eau et d’y former des monticules inversés. Ainsi, les plaquettes de glace qui se forment s’agglutinent à la construction placée en amont du cours d’eau. Résultat : un couvert de glace lisse en aval, une rivière qui ne gonfle pas et moins de risque d’embâcle au printemps.

 

« La stratégie est la suivante, explique Brian Morse. On encourage, en quelque sorte, la rivière à former très rapidement un couvert de glace. Parce qu’une fois qu’elle a son couvert, elle est protégée du froid. Oui, au long de l’hiver, le couvert gagne en épaisseur, mais il n’y a pas d’eau à découvert qui génère le frasil. Autrement, il y en a tellement qui descend et qui s’installe, au début de l’hiver, que cela crée un gros bouchon qui peut atteindre jusqu’à 3 kilomètres de long par 3 mètres de haut et 50 mètres de large. »

 

Des rivières de plus en plus « frasil »

Une estacade en sapin pour contrer les inondations. Photo : Thomas Simard-Robitaille, Université Laval

 

La formation de frasil est plus fréquente qu’auparavant, note l’ingénieur. Il s’agit d’un phénomène relativement nouveau à notre latitude, possiblement induit par les actuelles perturbations climatiques. Avec le ministère de l’Environnement et l’organisme Ouranos, il est d’ailleurs en train de réaliser, sur neuf rivières types de la province, une étude sur l’impact du réchauffement des températures sur la fréquence et l’intensité des embâcles. Les résultats de l’analyse devraient être connus dans quelques mois.

 

Bien qu’on ne puisse jamais être totalement à l’abri d’une inondation, insiste-t-il, trois solutions sont possibles. On peut toujours déménager une habitation, voire tout un centre-ville, pour l’éloigner d’une zone inondable. On peut aussi construire autrement, soit par exemple en modifiant la hauteur des sous-sols et en élevant les prises électriques, ce qui est la solution la plus simple.

 

« La troisième possibilité, c’est d’essayer de modifier le comportement de la rivière. Et ça, c’est très difficile à réaliser. Mais c’est ce qu’on tente de faire avec nos aménagements, indique Brian Morse. « L’idée de mettre des estacades flottantes pour la gestion des glaces remonte à plusieurs années. Par exemple, je pense que les premières au Québec ont été posées dans le fleuve Saint-Laurent en 1966. »

 

À l’époque il s’agissait de billots de bois attachés avec des câbles d’acier. En 1995, alors qu’il travaillait pour la Garde côtière canadienne, M. Morse a proposé de remplacer les billots de bois par des cylindres d’acier fermés à chaque extrémité. Cela a grandement accru l’efficacité des estacades flottantes avec, comme avantage, celui de pouvoir déterminer la profondeur de flottaison. Il s’agit alors de varier l’épaisseur et le diamètre de la tôle.

 

Un combat sans relâche

Une estacade en sapin pour contrer les inondations. Photo : Thomas Simard-Robitaille, Université Laval

 

Aujourd’hui, la solution semble à nouveau pointer vers le bois, cette fois les branches de résineux. « L’objectif premier est d’avoir un couvert de glace gérable. Ça a été un succès cette année parce que nous avons eu un hiver facile. Nous n’avons pas eu de pluie, pas de débâcles au beau milieu de la saison. » Parallèlement à cette intervention, on a incité le ministère de l’Environnement à effectuer des jeux d’ouverture et de fermeture des vannes (à l’aide d’une grue) du barrage situé plus loin sur la rivière.

 

D’une année à l’autre, plaide Brian Morse, il faut entretenir les aménagements, les refaire au besoin. Ne pas les laisser se dégrader. Et garder en tête qu’une inondation est toujours possible sur une plaine en bordure de l’eau, comme c’est le cas pour de très nombreuses municipalités. Selon la position géographique des villes et des villages, il y a différentes solutions. Mais la voie la plus facile, insiste-t-il, c’est de construire autrement, de façon à pouvoir être inondé de façon cyclique sans trop de dégât.