Environnements bruyants : plus besoin de choisir entre protection et communication

18 septembre 2017
Par Léa Méthé Myrand

Une entreprise québécoise lance une protection auditive haute-performance doublée d’un système de communication bidirectionnel.

La surdité due au bruit ambiant excessif est l’une des lésions professionnelles les plus répandues au monde, affectant plus de 100 millions de travailleurs. Aux États-Unis seulement, elle occasionne des recours contre les employeurs de l’ordre de 24,4 milliards de dollars. Au Québec, depuis 2010, plus de 4000 cas de surdité professionnelle ont été acceptés par la CSST annuellement.

 

Lorsqu’un employé atteint de surdité continue d’évoluer dans un milieu de travail bruyant, l’enjeu des communications se pose plus cruellement encore. « Quand il faut choisir entre protéger l’audition et comprendre ce que le collègue tente de nous dire, la plupart des gens se disent “J’ai une job à faire” et retirent leur protection », dit Nick Laperle, fondateur de Eers. Selon l’entrepreneur, c’est un choix que personne ne devrait avoir à faire.

 

L’entreprise lancera sous peu un appareil destiné à enrayer ce problème endémique. « Le bruit est en cause dans 12,2 % des accidents, ajoute-t-il. La communication est mal transmise ou encore mal reçue parce qu’il y a déjà une surdité. Ça devrait commencer à changer radicalement quand on va arriver », croit l’homme d’affaires qui se décrit avec humour comme « évangéliste de l’ouïe ».

 

L’innovation proposée par Eers est un appareil qui combine les fonctions de protection, de communication et de monitorage. Pour protéger l’oreille, les écouteurs moulés bloquent le son extérieur et livrent les communications à l’aide d’un minuscule haut-parleur Bluetooth. Un micro situé à l’intérieur de l’oreille mesure l’exposition au bruit et signale au travailleur d’ajuster l’appareil au besoin. Ce micro capte également la voix afin de la transmettre vers l’interlocuteur. Ainsi isolée du bruit ambiant, la personne ne ressent pas la nécessité de hausser la voix.

 

Nick Laperle, fondateur de EERS - Photo de EERS

 

« Même si on sait que le bruit représente un danger, c’est impossible de distinguer à l’oreille un niveau sécuritaire d’un niveau nuisible. Avec l’appareil, tu appuies sur un bouton quand tu rentres dans le bruit, et l’algorithme “apprend” le bruit, illustre Nick Laperle. Ça lui permet d’ajuster la protection et également d’analyser le son perçu pour extraire le bruit et rehausser la voix. »

 

L’entreprise vise avec cette proposition les grandes entreprises aux prises avec des réclamations récurrentes liées à la perte d’audition. Dans le secteur manufacturier, par exemple, elle compte équiper tous les travailleurs de manière à ce qu’ils soient protégés et disponibles aux communications en tout temps.

 

« Le coût sera suffisamment abordable pour nous permettre d’entrer partout sur les chantiers et dans les usines. Le client fera ses frais en moins d’un an en réclamations épargnées », estime Nick Laperle. On pourra initialement équiper ses employés pour des frais d’activation de 59 $ à 195 $, puis des mensualités allant de 9 $ à 12 $ comprenant les unités, l’installation logicielle ainsi que la formation du personnel.

 

Le déploiement de la solution Eers est soutenue par une application informatique munie d’un tableau de bord destiné au gestionnaire. En plus d’assurer à l’employeur que l’ouïe de tout le personnel est protégée, l’application de monitorage peut détecter le rythme cardiaque et la température corporelle du travailleur et alerter un responsable en cas de chute.

 

Les appareils seront aussi accessibles en formule « autonome » pour 495 $ l’unité, ou 395 $ en achats groupés. Cette version simplifiée du produit conviendra aux plus petits entrepreneurs, notamment dans le secteur de la construction. Ainsi, un opérateur de machinerie lourde et son signaleur pourront communiquer avec précision sans arrêter la machine. « Le gros avantage, c’est de ne pas avoir à s’interrompre ni à courir le risque de causer un accident », souligne Nick Laperle, dont l’équipe travaille déjà sur la compatibilité avec les téléphones cellulaires.

 

La technologie Eers est le fruit de 15 ans de recherche et développement. Vingt-trois chercheurs sont associés à la Chaire industrielle de recherche en technologiesintra-auriculaires CRSNG-EERS. Chez Eers, à Montréal, 15 employés travaillent à la mise en marché du produit dont le lancement est prévu pour janvier 2018. La technologie est actuellement à l’essai auprès de trois clients majeurs.

 

Pour les 18 premiers mois, l’entreprise vise le marché du nord-est de l’Amérique du Nord. Elle démarchera par la suite à l’international, avec en priorité le Royaume-Uni, où énormément de réclamations auprès des employeurs sont reliées à la perte d’audition. Eers assurera initialement sa propre distribution avant de confier celle-ci à des distributeurs spécialisés, notamment pour la solution complète qui nécessite une bonne intégration sur les plans organisationnel et informatique.

 

Eers a reçu de nombreux prix pour son approche innovante, dont un coup de pouce de trois millions de dollars de Créativité Québec pour l’étape de commercialisation du produit. L’entreprise a également remporté le Hear and Now Noise Safety Challenge tenu par le département américain de la santé et sécurité au travail. Le prix ? Une évaluation de la technologie par la division de la recherche de l’institution et une visibilité inespérée.

 

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2017. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !