Densifier la capitale pour développer la biodiversité, une utopie ?

13 janvier 2010
Par Mathieu Fleury, architecte, P.A. LEED

Les villes ont toujours été une source importante de pollution de leur environnement, tant par leur construction que par leur exploitation. Cette pollution a pris plusieurs formes à travers les époques et a conséquemment entrainé différents effets.

 

Un de ces effets fut la création de cités impropres au maintien et au développement des milieux naturels. La révolution industrielle ainsi que l’invention de l’automobile ont contribué de manière significative à l’extinction de la faune et de la flore en milieu urbain. En effet, les infrastructures destinées au transport, stationnements et routes, sont des milieux artificiellement désertiques impropres à la vie. En imperméabilisant les surfaces et en créant des microclimats chauds, les surfaces asphaltées sont une des causes majeures de la pollution générée par les villes. Dans un contexte où les problématiques environnementales que nous causons sont devenues menaçantes pour notre propre survie, il y a lieu de remettre en question les principes qui guident le développement urbanistique.

 

La pollution causée par le roulement quotidien de la cité peut prendre plusieurs formes observables : les terrains contaminés, les cours d’eau pollués par le drainage municipal (hydrocarbures, coliformes fécaux, sédiments, etc.), les sites d’enfouissement ainsi que le smog constituent de bons exemples. À cette pollution produite par la ville s’ajoute le phénomène d’étalement urbain qui, en plus d’accentuer la pollution quotidienne générée, contribue à repousser la limite naturelle ceinturant la ville.

 

 Une tendance actuelle propose la densification des villes comme réponse à cette  problématique complexe. Une population plus dense favorise le développement du commerce de quartier, diminue la pollution atmosphérique par la réduction des déplacements automobiles tout en limitant l’étalement urbain. Est-il possible de densifier l’espace bâti de Québec tout en permettant le développement de la biodiversité, tant animale que végétale ? Est-il souhaitable de le faire ? Il existe des pistes de solutions qui contribueraient à limiter les impacts des développements urbains sur la biodiversité, voire d’en inverser les effets : et si le développement urbain devenait une réalité positive pour la propagation des espèces vivantes ? Utopie ? Rien n’est moins sûr.

 

D’un point de vue populaire, la notion de biodiversité signifie la protection d’espèces rares vivant dans un écosystème fragile. Ces milieux rares doivent certes être protégés. Cependant, la notion de biodiversité est beaucoup plus vaste et englobe l’ensemble des espèces du monde vivant, menacées ou non. Une biodiversité urbaine épanouie implique la présence d’une multitude de végétaux et d’animaux adaptés à leur milieu, interagissant, donc autosuffisants. La présence de la faune est essentielle au développement de la flore, et inversement : la végétation fournit alimentation et protection aux animaux, ceux-ci fournissent engrais et propagation. De plus, les milieux naturels diversifiés ont toujours été bénéfiques pour l’être humain : ils lui permettent de subvenir à ses besoins physiques tout en inspirant son esprit.

 

Québec est une ville relativement riche en biodiversité. La présence de plusieurs zones propices à la vie explique ce fait. Les milieux humides constituent le berceau de la biodiversité. Les cours d’eau longeant ou traversant la ville, constituent un point de départ permettant le développement de la biodiversité urbaine. La revitalisation des berges de la rivière St-Charles à Québec constitue un projet exemplaire. Lors d’un passage à Québec Jacques Cartier a décrit la rivière comme étant un endroit où  « il y a grand nombre d'oiseaux, savoir grues, outardes, cygnes oies sauvages blanches et grises, cannes, canards, merles, mauvis, tourtes... ». Ce lieu foisonnant de vie fut stérilisé par la pollution générée par la ville et par le bétonnage des berges dans les années 70. Le retrofitting  écologique que constitue la renaturalisation des berges de la rivière a permis non seulement de recréer un milieu favorable au développement de la vie mais également de relier plusieurs pôles de biodiversité, de la forêt périphérique au fleuve Saint-Laurent. Cette nouvelle connexion permet la migration, donc le développement de la biodiversité en ville. La notion de liaison des espaces verts est essentielle au concept de biodiversité urbaine. Le morcellement doit être évité.

 

Si la présence d’espèces animales à Québec est actuellement limitée à certaines zones isolées, la ville possède un potentiel étonnant de développement urbain visant cet objectif. La structure urbaine de la ville comporte plusieurs zones linéaires vertes, généralement parallèles, propices au développement de la vie. Les principales sont le fleuve et sa promenade, les plaines d’Abraham, la falaise entre la Haute-Ville et la Basse-Ville ainsi que la rivière Saint-Charles. Cette trame, connectée aux zones vierges périphériques de la ville, permet la migration et l’installation des espèces vivantes à Québec. Celles-ci sont d’ailleurs observables à ces différents endroits. Afin de permettre une pénétration de la vie animale au cœur de la ville de Québec, des liens doivent être créés entre ces espaces. Des liens reliant le fleuve à la Saint-Charles et au-delà.

 

La densification urbaine, favorisée par le programme de certification LEED ainsi que par certains aspects de la règlementation municipale, constitue une occasion de reverdir la ville et de permettre à la vie animale de s’y épanouir. Il y a lieu de se questionner lorsque certains citoyens s’opposent farouchement à toute forme de densification du bâti sous prétexte que celle-ci affecterait négativement la tranquillité de leur quartier. L’impact majeur de la densification urbaine est le développement de la vie communautaire et des services de quartier. Cette réalité permet de réduire de manière importante la dépendance à l’automobile. Cette réduction des déplacements automobiles impliquent une possibilité de réduction des infrastructures de transport. Souvent, les citoyens hostiles à la densification perçoivent la construction d’infrastructures routières supplémentaires comme la réponse souhaitable à la problématique de congestion des routes. La densification urbaine, la création de services de proximité ainsi que le développement du transport en commun semblent des solutions beaucoup plus viables à long terme. Des villes où les gens vivraient, travailleraient et socialiseraient dans un rayon de marche a toujours constitué le rêve de nombreux constructeurs. À ce rêve peut s’ajouter la présence d’une végétation et d’une faune luxuriante, dans le cœur le plus dense de la ville.

 

La réduction des déplacements automobiles impliquant la réduction des infrastructures dédiées, davantage de rues pourraient être fermées de manière permanente aux automobiles et être réservées aux piétons et cyclistes. Ces rues, spécifiquement sélectionnés, pourraient être réaménagés de manière à créer des liens entre les zones vertes de la ville, permettant ainsi le déplacement et l’installation de la vie animale en ville. Québec, de par son architecture patrimoniale propice au développement d’habitats fauniques (en opposition à certaines constructions modernes lisses et sans aspérités), semble être un excellent laboratoire expérimental de biodiversité urbaine. En effet, certaines surfaces asphaltées, stationnements et rues, peuvent être éliminées et végétalisées. Imaginez : des rues et boulevards, zones désertiques urbaines, se transformant en parcs linéaires naturels traversant la ville. Ces parcs urbains, paradis pour piétons sur lesquels donneraient les entrées des bâtiments, constitueraient des zones de connexions entre les zones vertes existantes. Ce retrofitting  écologique de la ville permettrait la propagation de la vie animale en ville ainsi que la création de milieux de vie plus sains pour les humains. Les impacts réels vont cependant beaucoup plus loin : qualité de l’air accrue, filtration naturelle des eaux pluviales, climat plus tempéré, réduction du nombre de terrains contaminés par la présence de stations-services, tranquillité accrue par l’absence d’automobiles, etc. Cette inversion proposée au développement des infrastructures routières semble être une suite logique à la revitalisation des berges de la rivière Saint-Charles et permettrait à Québec de devenir un exemple concret de retroffiting  écologique à l’échelle urbaine.

 

Ce type d’approche comporte de nombreux enjeux qui doivent être étudiés par des équipes multidisciplinaires. Des regroupements d’architectes, d’urbanistes, d’écologistes, de biologistes, d’ingénieurs, d’entrepreneurs, de représentants municipaux et politiques, etc. devraient être constitués afin d’analyser et de développer le projet de faire de Québec une ville verte, non seulement dans son fonctionnement mais également dans sa forme. Car si les approches actuelles favorisent une réduction des impacts environnementaux engendrés par les villes, il semble évident qu’une réponse plus radicale est requise : les impacts de la ville sur l’environnement doivent non seulement être réduits, mais inversés. La ville, de par la création de zones linéaires vertes interconnectées, peut provoquer une réduction des transports, une réduction des GES, une meilleure oxygénation de la ville et la propagation des espèces animales en présence. De nombreuses levées de boucliers sont à prévoir, la culture automobile étant trop fortement ancrée dans le quotidien. Cependant, la situation est critique : des conditions extrêmes demandent des réponses extrêmes, l’environnement ne devant plus seulement être préservé mais restauré.

 

Mathieu Fleury est architecte chez la firme d'architectes Vachon & Roy.

 

Conseil du bâtiment durable du Canada