22 juin 2017
Par Marie Gagnon

De nouvelles approches de conception et de formulation des matériaux routiers pointent à l’horizon. En voici un aperçu.

Parce qu’elles permettent le transport des gens comme des marchandises, les infrastructures routières jouent un rôle prépondérant dans le développement social et économique d’une société. Sous nos latitudes, le passage répété de charges lourdes, combiné à des facteurs climatiques rigoureux, constitue toutefois une menace constante pour ce patrimoine. Pour tirer le maximum des investissements routiers dans un tel contexte, il faut désormais maîtriser la performance des chaussées.

 

À cet égard, d’importants progrès ont été enregistrés, ces dernières années, sur le plan scientifique. Ces avancées technologiques ont notamment favorisé l’évolution rapide des approches de conception des chaussées et des méthodes de formulation des matériaux routiers, jusque-là fondées sur des méthodes empiriques. Ces nouveaux modèles se développent aujourd’hui sur des fondements mécanistes faisant appel aux lois mécaniques des matériaux et des systèmes multicouches.

 

Défis et enjeux

Malgré ces avancées notables, les enjeux et les défis liés au développement et au maintien en état du réseau routier restent entiers. Du moins, dans le contexte climatique canadien, où les effets de l’eau, de la température et des cycles de gel et de dégel décuplent les effets des charges lourdes sur la chaussée. « C’est un phénomène mal connu et peu maîtrisé, commente Guy Doré, professeur titulaire au département de génie civil et de génie des eaux de l’Université Laval.

 

Guy Doré. Photo de Université Laval

 

« On sait que les températures extrêmes, tant chaudes que froides, modifient les propriétés et le comportement des matériaux, expose-t-il. Ici, lorsque le sol gèle, on peut parfois observer un soulèvement important de la chaussée. Et en période de dégel, quand la glace fond, on a une perte de capacité portante qui peut se traduire par des dégâts structuraux si la chaussée subit des charges élevées. Pour prévenir les déformations, le gouvernement impose donc des limites de charges. »

 

Sauf que la chaussée évolue tout au long de l’année, fait remarquer le chercheur. Au printemps, le revêtement est très résistant, mais la fondation est moins solide. À l’inverse, l’été, la fondation et le sol récupèrent, mais c’est le revêtement qui devient plus vulnérable. Tandis qu’en hiver, des fissurations thermiques peuvent apparaître, mais la portance du sol et des fondations sera à son maximum. Certaines provinces autorisent d’ailleurs le transport de charges plus lourdes en hiver, mais pas le Québec.

 

Un outil efficace

Pour faciliter la conception de chaussées qui résistent aux sollicitations de la circulation lourde, les chercheurs de la Chaire de recherche industrielle CRSNG sur l’interaction charges lourdes/climat/chaussées (Chaire i3C) de l’Université Laval, Guy Doré en tête, ont mis au point un nouveau logiciel de dimensionnement des chaussées. Baptisé i3C ME, cet outil propose à l’utilisateur plusieurs choix de méthodes d’estimation et d’analyse fondées sur une approche mécaniste empirique. Il permet en outre d’adapter la conception en fonction du projet, de l’information disponible et des préférences du concepteur.

 

Le logiciel peut également effectuer un calcul d’endommagement saisonnier afin de tenir compte de la variation des propriétés mécaniques des matériaux en fonction de cinq saisons : été, automne, hiver, début du dégel et fin du dégel. L’observation de chaussées montre en effet qu’une forte proportion de dommages par fatigue survient au tout début de la période de dégel, alors que les dommages par déformation permanente progressent rapidement en fin de dégel. Il est donc important d’en tenir compte. Le logiciel inclut par ailleurs plusieurs lois d’endommagement, relatives entre autres aux modèles de fatigue et de déformation permanente.

 

« Les approches mécanistes empiriques reposent sur le calcul des déformations dans la chaussée sous une charge de référence, c’est-à-dire le comportement mécanique, et la prédiction de l’endommagement spécifique au moyen de lois empiriques, ajoute le professeur. Le logiciel utilise actuellement des modèles américains pour les calculs d’endommagement, mais ils ne sont pas représentatifs de notre climat; il faut les adapter. »

 

De nouvelles lois

Le développement de lois faisant davantage intervenir les lois physiques qui déterminent l’endommagement est d’ailleurs en cours à l’Université Laval, où trois nouvelles lois d’endommagement – orniérage, fatigue et qualité de roulement – ont été élaborées. Comme il s’agit de versions préliminaires, elles ne sont pas encore intégrées au logiciel. Ce sera chose faite lors de la mise à jour du logiciel, quelque part au courant de l’été. En attendant, les concepteurs n’ont qu’à utiliser un des modèles proposés par le logiciel.

 

« Dans le domaine des structures de chaussées, les façons de faire ont beaucoup bougé ces dernières années, observe Guy Doré. En l’espace de cinq ans, on est passé des modèles empiriques aux méthodes mécanistes empiriques. Il reste encore beaucoup à faire, entre autres dans l’étude du comportement des chaussées soumises aux variations saisonnières et à long terme du climat, mais aussi dans la caractérisation de ces effets et leur prise en compte dans les modèles afin de diminuer la vulnérabilité des routes sous le poids des véhicules lourds. »